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les premiers à la mort se sont bien trouvés ceux qui avaient reçu de leurs pères le précepte et l’exemple de mourir pour la France. Je n’en veux citer aucun, la liste en est trop longue, sans compter que ce glorieux nécrologe, je le voudrais grossir de tous les noms obscurs qu’un même dévoûment, un même amour de la patrie ont unis aux plus éclatans. Rassurons-nous ; ce qui nous a manqué, le temps et la persévérance nous le feront acquérir ; ce qui ne se donne pas, nous l’avons. Nous sommes encore nous-mêmes, notre feu n’est pas mort ; nous n’avons succombé qu’au milieu d’une alerte, dans une heure de surprise, inévitable suite d’une orgie de vingt ans ; mais le sort de la France, je le tiens pour meilleur depuis qu’elle a sombré. Son unité, sa cohésion, sa nationalité, sont maintenant sous la garde d’une force qui ne peut périr après s’être ainsi révélée. Les grands esprits, les nobles cœurs, les âmes patriotes qui l’ont faite ou qui l’ont sauvée, saint Louis, Jeanne d’Arc, Henri IV et tous ceux qui dans la même voie ont obéi à la même pensée, n’ont rien à craindre pour leur œuvre. Je ne sais comment ni à quel titre ces deux provinces qu’on nous veut arracher, et qui pour être des dernières venues ne nous en sont que plus chères, conserveront la liberté de nous rester fidèles, mais j’ai la ferme confiance que nous ne les perdrons pas. Sans parler de l’Europe, dont l’attitude au moins, à défaut du langage, ne peut manquer de nous servir, comptons sur ces cinq mois de réveil national et sur la résistance de Paris. Mieux que les débris d’armées qui nous restent encore, ce souvenir vivant, plein de menaces, soutiendra l’assemblée que nous allons élire et lui donnera la force de se faire écouter.

Mais le bienfait du siège ne se borne pas là. S’il nous a sauvé notre honneur, s’il l’a mis hors d’atteinte, s’il nous a restitué la conscience de nous-mêmes, le sentiment de notre force et le respect de nos ennemis, ce n’est pas là tout ce qu’il nous a donné ; il a déposé dans les cœurs d’admirables semences, des germes régénérateurs dont il dépend de nous, par un peu de culture, de faire sortir des biens inespérés et le remède à de grands maux. Cette occasion manquait : l’avenir de notre société, surtout depuis la plaie du luxe asiatique où l’empire nous avait plongés, semblait s’assombrir d’heure en heure ; une sorte d’hostilité secrète, haineuse et incurable, pétrie de mutuels préjugés, menaçait d’éclater entre les points extrêmes de notre vieil édifice. C’est alors que la guerre s’est abattue sur nous ; des nouveautés effrayantes, des nécessités inouïes, les détresses d’un siège immense, démesuré, des blessés par milliers, des mourans, des malades, la misère, la famine, le froid, les bombes, tous les fléaux se sont déchaînés à la fois sur Paris, pendant que la France aussi sur plus d’un tiers de sa surface était frappée des mêmes plaies et accablée des mêmes maux ; mais en regard de ces scènes lugubres de merveilleux contrastes nous ont illu-