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s’acharner sur Paris, faire rage pendant près de cinq mois sans pouvoir constater autre chose que sa continuelle impuissance ? N’est-ce rien que ce bombardement qui n’a pas avancé d’un jour la chute de la place, barbarie gratuite, d’une parfaite innocence au point de vue de l’attaque, mais d’une efficacité merveilleuse pour assassiner nuit et jour nos plus paisibles habitans, produisant de plus ce double effet, imprévu, je suppose, à ces habiles gens, d’exciter dans l’Europe entière un mouvement de réprobation et d’horreur, en même temps que chez nous était mise en lumière la fermeté stoïque de notre population ? Ne les avez-vous pas vus, ces Parisiens de tout rang, de toute condition, prêts à souffrir s’il l’eût fallu pendant trois mois encore cette même pluie d’obus pour peu qu’il dût s’ensuivre la moindre chance de débloquer Paris ? Interrogez les étrangers qui sont encore ici, restés fidèles témoins du siège, ils ne parlent qu’avec admiration, avec attendrissement, de ce qu’ils ont vu faire et souffrir, pendant ces jours sinistres, non par les hommes seulement, par les enfans et par les femmes. N’est-ce donc rien que la révélation de tels trésors d’abnégation et de patriotisme ? Il y a là une force immense, inconnue jusque-là de nous-mêmes comme celle de nos remparts., et dont un jour nous saurons, je l’espère, tenir largement compte.

Eh bien ! tout cela vous échappait, si vous aviez précipité la paix après Sedan. Pour quelques écus de plus, quelques souffrances de moins, vous auriez établi dans l’opinion des hommes que ce peuple sans aïeux, né d’hier à la gloire, dont on ne peut citer avant le dernier siècle ni un exploit ni un nom, était désormais le seul et digne élève, l’héritier légitime des Vauban, des Turenne et des Napoléon, qu’à lui seul appartenait la force et que l’empire du monde lui revenait de droit ; tandis que nous, les fils de la race guerrière qui fut la terreur des Romains, nous qui de siècle en siècle n’avons jamais perdu nos traditions de gloire et dont le drapeau vainqueur flottait encore il y a soixante ans au cœur de tant de capitales, nous n’étions plus qu’une foule énervée, sans cœur et sans vergogne, propre à faire des émeutes, à conduire des quadrilles ou à dire des bons mots ! La rougeur m’en monte au visage ; mais, Dieu merci, nous avons pris le temps d’éviter la méprise, de montrer qui nous sommes. Le défaut d’organisation a seul trahi nos efforts ; cette force méthodique, c’est le temps qui l’engendre ; lui seul il la façonne et l’affermit ; ce n’est pas le courage qui peut l’improviser ; mais tout ce que la valeur native d’un sang naturellement guerrier a jamais produit d’héroïque et de beau, je le demande à ceux qui dans ces derniers mois ont étudié de près les luttes acharnées dont la Loire, le Doubs, la Seine, l’Oise et la Marne ont été le théâtre, ne l’ont-ils pas trouvé, et par milliers d’exemples, dans les rangs de nos jeunes armées, ces masses citoyennes devenues spontanément soldats ? Grâce au ciel, tout a marché dans l’ordre :