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première chose, de la paix. Elle a le devoir d’examiner virilement ce que la France peut accepter ou ce qu’elle ne pourrait subir sans abdiquer, ce qu’elle peut faire encore d’efforts, ou ce qui serait désormais impossible, — et surtout si elle croit la paix définitivement nécessaire qu’elle se souvienne bien que cette paix doit être faite avec autorité, avec résolution, avec la mâle vigueur d’un peuple qui atteste encore sa fierté, même en se soumettant à une mauvaise fortune passagère. Il faut regarder la situation en face, savoir ce qu’on peut ou ce qu’on veut et ne pas descendre jusqu’à paraître se quereller puérilement avec ce qui serait une nécessité inexorable ; mais, qu’on ne s’y trompe pas la paix fût-elle signée aux conditions les plus favorables, ce n’est là encore que la moitié de l’œuvre de cette assemblée souveraine appelée aujourd’hui à décider des destinées de la France. C’est sur nous-mêmes que nous devons désormais tourner nos regards, c’est en nous-mêmes que nous devons agir.

Cette effroyable crise de notre existence nationale ne peut point passer en vain ; elle doit être pour nous un fécond enseignement après avoir été la plus douloureuse des épreuves. Depuis six mois, la France a pu voir où sont ses faiblesses, quelles déviations successives, quelles erreurs accumulées l’ont conduite à de si incomparables désastres. Il faut que la France songe aujourd’hui à se refaire moralement, politiquement, matériellement. Ceci n’est plus seulement l’œuvre d’une assemblée, c’est l’affaire de tout le monde. Pour tout ce qui porte un cœur français, le premier devoir maintenant est de mettre la main à ce travail commun qui doit embrasser notre reconstitution militaire, l’énergique réforme de l’éducation publique, notre réorganisation intérieure. La France a été perdue par les prospérités énervantes, par les séductions faciles, par les frivolités d’un scepticisme corrupteur. Le moment est venu pour elle de se relever sous la forte et salutaire discipline du malheur. Elle sait aujourd’hui ce qu’il en coûte d’oublier les grandes inspirations pour se jeter à la poursuite du bien-être et des jouissances, d’abandonner tous ses droits, de laisser se détendre et s’altérer sa vie publique ; elle vient de l’éprouver d’une manière tragique. Si elle eût exercé un contrôle plus sévère sur ses propres destinées, sur ses affaires, elle ne serait point aujourd’hui où elle en est ; elle aurait demanda des comptes, elle aurait su ce que ne savaient pas pour elle ceux qui l’endormaient dans une trompeuse sécurité. Elle a certainement payé assez cher le droit de reprendre possession d’elle-même, de ne plus se fier aux prétendus sauveurs qui la perdent Elle se rachète au prix du sang et des plus effroyables souffrances ; elle n’aura pas du moins tout perdu, si, dans l’ère de travail et de régénération qui commence, elle n’oublie jamais ce qui l’a conduite à de telles extrémités.

ch. de mazade.