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pressions et ses pensées, le pays est obligé de courir au scrutin, de se donner des représentans chargés de trancher les plus redoutables problèmes qui puissent s’imposer à des hommes. Ce n’est pas tout : le gouvernement, en rétablissant la législation de 1849, notamment le scrutin de liste, n’a pas rendu plus aisée l’œuvre électorale. Sans doute il était un peu difficile de faire autrement. Les anciennes circonscriptions électorales créées par l’empire n’étaient que des agglomérations artificielles, combinées de façon à favoriser l’omnipotence de l’action administrative. Les arrondissement tels qu’ils existent, ne sont pas eux-mêmes une base bien sûre ; ils offrent des inégalités de population et d’importance dont il y aurait toujours à tenir compte dans la détermination du nombre des députés, et c’est tout un travail à faire, en admettant même qu’on revienne au système de l’élection par arrondissement. Le scrutin de liste, c’est un embarras d’un autre genre, c’est à peu près le hasard qui devient le grand électeur. Il faut que les populations d’un département, déjà bien embarrassées quand elles n’ont à choisir qu’un député que souvent elles connaissent à peine, nomment cette fois cinq, dix, vingt et même quarante-trois députés qu’elles connaissent encore moins. N’importe, il faut se hâter, ce n’est pas le moment de s’arrêter à ces détails ; le temps presse, car cette assemblée a une mission immédiate, urgente, précisée par l’armistice lui-même ; elle doit se prononcer avant tout sur la question de savoir « si la guerre doit être continuée, ou à quelles conditions la paix doit être faite, » et si une prolongation de l’armistice est assez vraisemblable, encore faut-il qu’au moment où il expirerait l’assemblée se trouve réunie, qu’elle ait nommé des plénipotentiaires, qu’elle ait enfin commencé son œuvre.

L’essentiel est qu’après un si long interrègne, après ces cinq mois d’épreuves et de terribles incertitudes, il y ait debout une représentation nationale sortie des entrailles sanglantes du pays, ayant le droit de parler et d’agir au nom de la France. C’est le retour à un ordre régulier, c’est la possibilité de refaire un gouvernement, de reconstituer dans l’unité de sa force morale et matérielle cette malheureuse patrie qui s’est vue tout à coup plongée dans une si formidable crise, et que nous devons aimer dans ses infortunes encore plus que dans ses prospérités. Quel sera l’esprit, quelle sera la composition de cette assemblée dans laquelle va se résumer la souveraineté nationale de la France ? Nous ne le savons pas. Nous oublions souvent que depuis cinq mois nous vivons séparés du pays, ignorant en réalité ce que pensent et ce que deviennent nos provinces, et ce serait une étrange témérité de prétendre, du haut de notre ignorance et de notre isolement, fixer d’avance des limites à l’œuvre des représentans que la France va nommer. Cette œuvre est sans limite. Assurément elle a une immense mission, cette assemblée, si elle sait comprendre son rôle, si elle sait agir et non se perdre en stériles tumultes de paroles. Elle a d’abord à s’occuper de la