t-on par hasard que, parce qu’on aura donné la force d’une légalité passagère à une conquête, Français et Allemands reprendront leurs rapports habituels ? Non certes : on aura élevé une barrière : le commerce, l’industrie, les communications intellectuelles en souffriront, l’Europe tout entière se ressentira elle-même de ce grand trouble jeté au centre du continent. M. de Bismarck croit avoir la force ; il peut l’avoir aujourd’hui contre nous, il peut l’avoir bientôt contre d’autres, parce que l’esprit de violence a ses fatalités auxquelles on n’échappe pas ; mais les conquêtes ont quelquefois un lendemain. Même après ces démembremens dont on nous menace, la France ne sera jamais assez mutilée pour ne pas rester encore une grande nation ; elle se recueillera, elle s’éclairera par ses malheurs, elle retrouvera ses forces et son génie gaspillés par les fausses politiques ; elle attendra, s’il le faut, et qui pourrait dire que l’Allemagne n’aura pas un jour ou l’autre à rendre compte d’un abus de la victoire dont elle ressentira les suites fatales dans les crises de l’avenir, qui dans tous les cas peut enchaîner sa politique dans toutes les affaires du monde ?
Veut-on clore sérieusement et dignement cette effroyable guerre où nous sommes engagés ? Veut-on ouvrir au contraire une ère nouvelle de trêves sans moralité et sans durée, de relations contraintes et précaires, de conflits toujours renaissans ? Il s’agit aujourd’hui de cela. C’est donc une question grave pour l’Allemagne elle-même de savoir quelles conditions elle veut mettre à la paix. La question n’est pas moins sérieuse pour l’Europe, qui peut se trouver entraînée dans une série de perturbations indéfinies, à la suite d’une lutte dont elle aurait pu être la modératrice efficace, et dont elle n’a été jusqu’ici que la spectatrice indifférente. C’est en présence de ce problème redoutable que va se trouver à son tour cette assemblée appelée à représenter la France vaincue, menacée dans son intégrité, mais non certainement assez découragée pour acheter la paix par des humiliations indignes d’elle. Cette assemblée, improvisée dans le péril et d’avance investie d’un terrible mandat, elle doit se réunir à Bordeaux dans douze jours. Les élections doivent se faire à Paris dans cinq jours, et dans huit jours en province. Le temps est mesuré naturellement à la durée de la suspension d’armes. Il est malheureusement bien clair que tout dans ces élections est exceptionnel comme les circonstances elles-mêmes. Ce scrutin va s’ouvrir dans des conditions bien étranges. Une partie du pays est occupée par l’ennemi débordant de toutes parts jusqu’à la Loire, jusqu’au-delà du Mans et jusqu’à la mer dans l’ouest, jusqu’en pleine Bourgogne et en pleine Franche-Comté à l’est. Entre Paris et les provinces, les communications sont à peine rétablies, et pendant quelque temps encore elles resteront lentes et difficiles. On ne peut ni se voir ni s’entendre après une séparation si longue, marquée partant d’événemens, et avant même d’avoir pu se reconnaître, avant d’avoir pu rassembler ses im-