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l’ennemi avait su au juste que nous n’avions plus que pour huit jours de vivres, pourquoi aurait-il consenti à une négociation ? Il n’avait plus qu’à se croiser les bras en attendant que l’affreuse famine accomplît son œuvre et lui livrât Paris à merci. Quelque dures que soient les conditions de l’état-major prussien, elles auraient pu être plus rigoureuses encore, s’il n’y avait eu chez nos ennemis un reste d’incertitude sur nos ressources. Dans tout cela, le gouvernement n’a fait que ce qu’il pouvait, et certes, s’il y a un homme qui ait dû souffrir, qui ait montré une patriotique abnégation, c’est ce ministre des affaires étrangères, M. Jules Favre, qui par deux fois, à quatre mois de distance, a dû se rendre en messager de paix auprès du hautain représentant d’une politique implacable. Le seul crime du gouvernement, c’est d’avoir partagé quelquefois ou d’avoir paru partager les illusions communes, et de s’être trouvé condamné à devenir l’instrument du déchirant sacrifice de la dernière heure ; son honneur, c’est d’avoir résisté jusqu’à la dernière extrémité, d’avoir tenu tant qu’il l’a pu, tant qu’il nous restait un morceau de pain. Son malheur, en fin de compte, c’est d’avoir hérité d’une situation impossible. Aujourd’hui, après une défense de cinq mois aussi honorable par sa durée que douloureuse dans son dénoûment, on semble oublier l’abîme où était tombé ce malheureux pays qui, au commencement de septembre, se trouvait avec des armées tout entières détruites ou captives, avec une invasion s’étendant d’heure en heure, avec toutes ses ressources paralysées, avec sa capitale violemment séparée des provinces, et enfin avec une révolution intérieure qui, pour être un acte de salut national, ne laissait pas d’être un danger de plus. Le mal était déjà peut-être trop grand pour pouvoir être réparé en quelque sorte sous le feu de l’ennemi. Et pourtant, dans ces cinq mois longs comme des siècles, la France, ayant déjà le pied de l’envahisseur sur la poitrine, est parvenue à se défendre dans Paris, à refaire des armées nouvelles en province, à tenir tête aux formidables masses allemandes aguerries et exaltées par une campagne triomphante. Malgré tout, en un mot, la France a montré une fois de plus qu’elle était encore la France. C’est notre unique victoire, une victoire toute morale, dans cette série d’incomparables revers, où la reddition de Paris compte moins comme une défaite nouvelle que comme une dernière conséquence de cette fatalité que l’imprévoyance a déchaînée sur nous, et qui avait tout compromis avant même que nous eussions le temps de nous reconnaître.

Maintenant cet acte qui vient d’en finir avec un siège vaillamment soutenu, qui dans tous les cas brise l’action militaire de Paris, cet acte est-il le préliminaire d’une paix inévitable ? Il ne faut pas se dissimuler que, dans cette situation nouvelle dont l’armistice du 28 janvier est en quelque sorte l’expression saisissante, tout est singulièrement changé ; Paris ne peut plus rien dans le drame militaire qui se déroule depuis