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digieuses ? comment n’aurait-on pas oublié un instant ce qu’il y a de difficultés presque insurmontables pour une ville investie à se débloquer elle-même ? Le gouvernement s’est fait quelquefois de ces illusions, il a entretenu celles du public, qui ne demandait pas mieux que de croire à tout ce qui flattait ses espérances, et il en a été un peu pour nos vivres comme pour les événemens militaires qu’on supposait au loin. Puisque nous avions dépassé la limite qu’on avait fixée d’abord, puisqu’on avait vécu deux mois, trois mois, il n’y avait plus de raisons pour qu’on n’allât pas ainsi longtemps, et, si les vivres manquaient, ce devait être de toute nécessité la faute du gouvernement. Le gouvernement ne le savait peut-être pas plus que nous ; peut-être n’a-t-il songé à s’en informer bien exactement que lorsqu’il n’avait plus que quelques jours devant lui, et cette découverte a ressemblé à une déception à laquelle pourtant on devait être préparé.

Ce qui a été surtout pour nous une source d’illusions, ce qui a contribué à nous dérober jusqu’à un certain point la réalité de notre propre situation, c’est tout ce qu’on nous a dit sur l’organisation, sur la puissance, sur la marche de nos armées de province. Assurément ces armées existaient, elles ont livré assez de combats acharnés et sanglans pour attester leur force et leur valeur. Il y a eu même des momens où elles ont eu d’honorables succès et où elles ont paru faire reculer les Prussiens. Que sont devenues ces armées ? que se passe-t-il réellement en province ? Ici commence ce terrible vague où s’égarent les imaginations. Le fait est que malheureusement depuis assez longtemps nous ne savons plus rien de précis sur ce qui se passe en France. Nous entrevoyons M. Gambetta se démenant, s’agitant, ayant tout l’air de s’étourdir un peu lui-même de son ardente et fiévreuse activité, faisant des généraux, s’érigeant en stratégiste, portant partout un patriotisme un peu confus, et nous flattant de temps à autre dans ses dépêches de l’arrivée prochaine des armées libératrices. M. Gambetta croyait certainement ce qu’il disait, il voyait par l’imagination l’exemple de Paris enflammant la province, la province à son tour refoulant les Prussiens jusque sous nos murs, allant au besoin couper leurs communications. Nous en étions là il y a deux ou trois semaines tout au plus, aux dernières nouvelles qu’il nous a données ou qu’on nous a communiquées. Le général Chanzy, replié sur l’ouest avec son armée grossie des contingens bretons, était tout prêt à reprendre l’offensive pour marcher sur Paris ; déjà il poussait ses avant-postes jusqu’à Vendôme. Au nord, Faidherbe venait de livrer des combats heureux sous Bapaume et refoulait les Prussiens. Dans l’est, Bourbaki, à la tête de forces considérables, dépassait Dijon, s’avançait jusqu’à Gray, jusqu’à Vesoul, allait débloquer Belfort, et semblait menacer les communications prussiennes par la vallée de la Moselle.

C’était assez encourageant, quoique Bourbaki dans sa marche vers