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la preuve parlante, éclatante de la vitalité française momentanément concentrée dans nos murs, et cette défense qui finit comme un désastre nous a du moins rendu la dignité en forçant l’ennemi à respecter ceux qu’il n’a pu réduire qu’en trouvant la faim pour complice. Cette défense, elle ne nous a pas sauvés, il est vrai, elle nous a pourtant valu quelques égards dans notre suprême détresse. Certes nous ne chercherons pas à déguiser ce qu’il y a de poignant dans ces cruels articles de ce qu’on veut bien appeler un armistice ; nous ne pouvons pas nous méprendre sur ce qu’ils signifient : c’est la reddition de Paris attestée par la présence des Allemands dans nos forts ; mais enfin, si notre armée est prisonnière de guerre, elle reste parmi nous et ne va pas rejoindre les 300,000 hommes que nous avons en Allemagne, nos officiers n’ont pas l’humiliation de livrer leur épée. Une de nos divisions est intacte, la garde nationale tout entière reste avec son organisation et ses armes, les Prussiens n’entrent pas enfin dans Paris. Nous ne leur en savons pas gré, ils se sont évidemment inspirés de leur propre intérêt en ayant l’air de faire une concession, en s’abstenant de pousser une population sous les armes à un acte de résistance désespérée. C’est du moins une sorte d’allégement pour les douleurs patriotiques de Paris, et cette réserve d’un ennemi qui ne passe pas pour scrupuleux montre que tout n’a pas été inutile dans cette lutte où bien des causes rendaient la victoire difficile.

Qu’on accuse le gouvernement seul de cette triste fin du siège de Paris, c’est une consolation, si l’on veut ; malheureusement il y a depuis cinq mois dans nos affaires un élément qui a joué un grand rôle, et qui explique la vivacité de nos déceptions : c’est cette puissance obstinée d’illusion que nous avons gardée jusqu’au bout, et qui se retrouve peut-être encore jusque dans ces récriminations d’aujourd’hui. L’illusion, elle n’a cessé de nous accompagner et de nous fasciner, même après ces premiers désastres de la guerre qui auraient dû pourtant nous guérir. Elle s’est enfermée avec nous à Paris, et ici comme partout elle nous a souvent fait voir les choses comme nous voulions les voir, non comme elles étaient. Il faut bien l’avouer aujourd’hui, nous nous sommes trop souvent contentés de mirages et de fictions. Est-ce qu’on ne se souvient pas de toutes ces histoires qu’on nous racontait jusque dans ces derniers temps ? Tantôt c’était le prince Frédéric-Charles qui avait été blessé, fait prisonnier, et dont l’armée battait en retraite ; on n’en pouvait pas douter, une bouteille lancée dans la Marne avait porté la merveilleuse nouvelle. Une autre fois, et il n’y a pas si longtemps encore, c’était bien mieux : le général Bourbaki était en pleine Allemagne, dans le grand-duché de Bade, et au même instant notre flotte paraissait devant Hambourg, portant 60,000 hommes qui allaient débarquer, délivrer nos prisonniers et prendre sans doute Berlin ! Comment n’aurait-on pas cru à Paris qu’on devait se délivrer, lorsqu’on écoutait avec complaisance ces fables pro-