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en elle-même pour réparer le mal qu’on lui aura fait, pour se reconstituer, et ceux qui ont cru en elle, ceux qui l’ont servie dans ses prospérités la serviront d’un dévoûment plus ardent encore dans son infortune. Non, ce n’est pas le moment de se décourager et surtout de désespérer des destinées de la France, c’est bien plutôt en de pareilles heures que le vrai patriotisme se ravive, fécondé par le sang de tous ceux qui sont déjà morts pour leur pays, et qui ne peuvent pas avoir fait un sacrifice inutile.

Il y a un autre sentiment dont il ne faut pas moins se défendre, parce qu’il serait plus dangereux et plus puéril qu’un morne découragement : c’est cette passion de récriminer, d’accuser, de se renvoyer mutuellement la faute de tout ce qui nous arrive. Nous l’avons trop entendu depuis quelque temps, ce concert assourdissant de récriminations et de plaintes : les soldats accusant leurs généraux de ne pas savoir les conduire à la victoire, les généraux accusant les soldats de manquer d’élan ou de solidité, les civils se plaignant des militaires, et les militaires jetant la pierre aux civils, tout le monde criant contre le gouvernement, et le gouvernement ayant peut-être, lui aussi, son mot à dire. C’est la triste et fatale loi des jours de désastres : chacun veut s’innocenter lui-même en accusant les autres. On éprouve le besoin de se renvoyer de l’un à l’autre la responsabilité des misères qu’on a été obligé de supporter ensemble. Que dans un premier moment d’émotion douloureuse on se laisse aller à cet étrange penchant, qui en définitive n’a pour résultat que de déconsidérer tous ceux qui ont pris part à de grands événemens, on ne peut pas trop s’en étonner encore, c’est l’explosion spontanée d’une douleur irréfléchie, d’une déception qui ne peut se contenir ; mais tout ce bruit a déjà presque trop duré. N’enlevons pas du moins à notre malheur la dignité qui lui reste ; n’allons pas donner à une défaite qui n’a pas été sans gloire ce triste épilogue des ressentimens inutiles, des accusations qui ne servent à rien, des agitations qui ne feraient qu’aggraver nos épreuves en les avilissant. Puisque la présence de l’ennemi sous nos murs a suffi depuis cinq mois pour maintenir l’union patriotique de toutes les volontés en décourageant tous les fauteurs de divisions, que sa victoire ait du moins pour nous ce salutaire effet de nous imposer cette réserve qui est la pudeur des vaincus. Paris a gardé intact jusqu’au bout l’honneur de sa longue et vaillante résistance ; il doit le préserver plus que jamais aujourd’hui, lorsque toutes les discordes et toutes les récriminations ne seraient plus qu’un spectacle stérile et sans péril offert à nos ennemis, qui peuvent désormais nous observer du haut de ces forts où ils n’ont pu entrer que le jour où la faim nous a menacés de sa redoutable étreinte. La dignité de l’attitude est notre dernière force contre ceux qui nous tiennent sous le feu de leurs canons, et cela ne guérirait pas nos malheurs de chercher à nous