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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 janvier 1871.

Il y a des heures d’une indicible amertume pour tous les cœurs fidèles à leur pays. Nous sommes à une de ces heures d’angoisse patriotique, à un de ces instans où la réalité cruelle et décevante produit l’effet d’un rêve sinistre. La fatalité qui nous poursuit n’avait point épuisé ses coups, elle nous réservait une nouvelle épreuve. Paris à son tour, Paris lui-même a été obligé d’entrer en négociation avec son terrible ennemi, et de s’avouer impuissant à rompre le cercle de fer qui l’entourait ; Paris n’est pas tombé, il est vrai, devant une attaque de vive force, il a été réduit à traiter, à demander un armistice, parce qu’il n’avait plus de vivres. Plus de cent trente jours de siège n’avaient pu avoir raison de sa constance. Un mois de bombardement meurtrier n’avait pu ébranler son courage, et avait à peine altéré sa sérénité ; il avait supporté toutes les privations et ce supplice, plus cruel que toutes les privations matérielles, de se voir séparé de la France, du monde, de n’avoir plus de nouvelles de tous ses absens ; il avait tout souffert sans se plaindre, dans l’espoir d’un secours prochain, sachant bien qu’il était le porte-drapeau de la France, qu’il donnait au pays le temps de se relever, et il aurait tenu encore, s’il n’avait fallu que de la résolution. Il n’a rendu les armes que devant la faim redoutable qui s’approchait, lorsqu’il s’est vu en face du dernier morceau de pain qui lui restait.

Alors a sonné cette heure douloureuse des résolutions suprêmes. La défense s’est sentie vaincue avant d’avoir épuisé tout ce qu’elle avait de vivace énergie. Il a fallu aller au camp prussien négocier pour sauver de l’horrible famine une population de deux millions d’hommes, de femmes et d’enfans, que toutes les extrémités de la guerre n’avaient pu réduire, et cette négociation, dernier mot de la résistance parisienne, est devenue par le fait même le préliminaire d’un armistice qui suspend les hostilités sur tous les points, en laissant à la France le temps de nommer une assemblée chargée désormais de dénouer souverainement par la paix ou par la continuation de la guerre cette situation tragique