Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/546

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

piétisme d’autant plus dangereux qu’il sert de masque à des passions moins désintéressées des choses de ce monde.

Une première question, dont la solution varie selon le temps et les personnes, c’est de déterminer en quelles proportions se combinent ces trois élémens dans le parti féodal prussien. Varnhagen s’était posé ce problème à propos des deux derniers rois de Prusse. Ces souverains, comme leur successeur actuel, étaient beaucoup plus les chefs des hobereaux que ceux de la nation, et je ne suis certes point le premier à le dire. Si Varnhagen oublie de signaler le pédantisme national, s’il paraît le confondre soit avec l’esprit de caserne, soit avec l’esprit de sacristie, ne nous en étonnons pas trop : il était lui-même Prussien. Or la plupart de ses compatriotes sont dénués d’un sens qui est très répandu au contraire de notre côté du Rhin. Tandis que la plupart des Français détestent instinctivement le pédantisme, le Prussien naît pédant ; il l’est sans le savoir, naïvement, et ne sent pas si d’autres le sont plus ou moins que lui. « Calcul singulier, s’écriait Varnhagen le 11 mars 1842 : Frédéric-Guillaume III, soldat aux trois quarts, et pour un quart bigot (Pfaff) ; Frédéric-Guillaume IV, un quart soldat, un quart bigot, un quart artiste amateur et un quart… tout ce qu’on voudra. » Il est à regretter que Varnhagen n’ait pas appliqué cette belle méthode au prince de Prusse, devenu depuis Guillaume Ier ; mais on peut deviner ce qu’eût été sur ce souverain l’opinion de Varnhagen, à en juger par les traits suivans épars dans son journal. « Le militaire prussien et le bourgeois sont partout insupportables l’un à l’autre ; partout des collisions dans les villes des vieilles provinces comme dans celles des nouvelles. Naturellement on s’en prend non-seulement aux généraux et aux officiers, mais aussi au prince de Prusse. C’est lui, dit-on, qui travaille depuis longtemps à propager parmi les troupes cet esprit de corps et d’insolence. » Ailleurs, à propos d’un voyage du futur monarque, Varnhagen écrit dans son journal le 25 décembre 1849 : « Le prince de Prusse marche sur les brisées du roi. Il va débitant partout des discours, se mêle d’enseigner à chacun son métier, témoigne aux gens son contentement ou son mécontentement, leur dit ce qu’ils doivent être, se prend lui-même pour la mesure et la règle universelles. Chacun a son paquet : clergé catholique et clergé protestant, fonctionnaires, bourgmestres, négocians et fabricans, représentans du peuple, savans, surtout généraux, officiers et soldats ; mais c’est un tout autre genre que celui du roi : nulle abondance, point d’à-propos ; ni enthousiasme, ni émotion. Non, cela est raide, sec, pédantesque et invariablement désagréable. »

Voilà des dispositions qui promettaient chez un homme destiné