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comme on l’appelle, piétiste, qui s’est allié, et à peu près identifié avec une coterie militaire et nobiliaire qu’on a surnommée le parti des hobereaux (Junckerpartei). Or, chose à peine croyable, afin de parvenir à l’unité politique, la grande Allemagne tout entière s’est laissé absorber, sous nos yeux, non-seulement par la Prusse, mais par cette secte et cette caste. Comme dans le songe d’un roi de la Genèse, l’épi avide, vide et maigre a englouti l’épi gras et opulent.

Nous ne demandons point à être crus sur parole ; nous appellerons en témoignage contre la Prusse des hobereaux la grande Allemagne et quelques-uns de ses esprits les plus éminens, Humboldt par exemple et surtout Varnhagen. Ce spirituel écrivain, n’est point inconnu en France, et il n’est rien moins qu’étranger aux lecteurs de la Revue. Issu d’une famille ancienne et noble, sinon titrée, tour à tour officier de cavalerie et diplomate retiré à Berlin, où il entretenait des rapports, intimes et continus avec les hommes les plus distingués et les plus influens des divers partis, il était bien placé pour connaître et juger les choses. Jour par jour, il écrivait ce qu’il voyait et entendait. On a publié déjà plus de vingt volumes de son journal ou de ses mémoires, et tout n’a pas encore paru. Il n’est mort qu’en 1850, et il a vu se préparer de loin, il a presque prédit ce qui s’accomplit en ce moment. On ne saurait donc trouver un meilleur juge, du parti piétiste prussien et de ses chefs.

L’Allemagne n’a pas comme l’Angleterre une haute noblesse territoriale, et c’était pour le feu roi Frédéric-Guillaume IV la cause de très vifs regrets. Il enviait à la Grande-Bretagne ses lords puissans, héritiers de vastes domaines. Le droit d’aînesse, condition essentielle des aristocraties, n’existe point chez nos ennemis ; tous les fils d’un comte naissent comtes, et toutes ses filles sont comtesses. De là une noblesse toujours plus nombreuse, et qui est plus riche de titres que de biens ; mais cette noblesse besoigneuse, peu soldée à la cour comme à l’armée, sait compenser par sa morgue raide et hautaine ce qui lui manque de véritable grandeur. Elle ne forme pas seulement dans l’état une caste privilégiée ; elle est un parti politique très influent, le parti féodal ou des hobereaux. Elle a érigé en maximes de droit, et de morale tous ses préjugés, tous ses intérêts. Peu aimable et n’en ayant souci, elle songe avant tout à s’imposer, à se faire craindre, à prendre et à garder le plus possible. C’est cette noblesse, ce sont ces hobereaux qui ont poussé de toutes les forces de leur convoitise à la guerre d’extermination contre la France. Trois élémens, qui sont le fond du caractère prussien en général, semblent constituer surtout celui des hobereaux : un militarisme intraitable, un pédantisme invétéré, un