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impérial, ce qui ne s’est point éteint dans les âmes malgré l’affaissement général des caractères et le développement immodéré des appétits matériels, c’est le dévoûment au pays, c’est le point d’honneur patriotique. Que de souffrances endurées pour la patrie, depuis le bombardement de Strasbourg jusqu’au bombardement de Paris et de Longwy ! Un peuple au sein duquel tant de personnes de toute condition et de tout âge, mal préparées aux sacrifices par leur éducation et par leurs habitudes, savent souffrir tout à coup, sans espoir de salut, uniquement pour une idée, pour un sentiment, pour un principe moral, les plus dures extrémités de la guerre, n’est point, quoi qu’on dise, un peuple dégénéré. Les circonstances lui révèlent à lui-même des qualités qui sommeillaient en lui, auxquelles ne manquait que l’occasion de se produire, et que la secousse du malheur public fait jaillir du fond des âmes. N’en soyons pas néanmoins trop fiers ; ne recommençons pas à nous bercer d’illusions, à nous payer de mots sonores, comme nous l’avons fait trop souvent, en nous décernant des éloges supérieurs à notre mérite. La dure leçon que nous donnent les faits doit nous servir à mieux juger des choses, à nous défier des complaisances de l’amour-propre national, de la crédulité que nous inspire notre confiance en nous, de la facilité avec laquelle nous accueillons tout ce qui flatte nos espérances, tout ce qui répond à nos rêves de grandeur, à nous mieux connaître en un mot et à mieux connaître les autres. La longue comparaison que nous ferons désormais entre nos ennemis et nous n’aura rien qui doive nous décourager. Nous leur laisserons l’avantage des grandes conceptions militaires, d’une stratégie infiniment plus savante, plus méthodique, plus précise que la nôtre ; nous leur accorderons les plus solides qualités d’ensemble, des mérites généraux et en quelque sorte collectifs. Nous ne contesterons pas que, dans le duel engagé par notre faute, l’Allemagne, préparée depuis longtemps à la guerre et supérieurement conduite, ait presque partout vaincu la France surprise ; mais, si la France est vaincue, le génie français ne l’est point. L’énergie de la résistance, l’opiniâtreté de la lutte sur tant de points de notre territoire, la volonté et la faculté de souffrir que révèle dans toutes les classes de la population l’histoire de tous nos sièges, la tension de toutes les intelligences et de tous les courages en face du péril, montrent assez que le ressort individuel n’est pas brisé chez nous. Peut-être même sortirons nous de cette épreuve plus forts et mieux trempés pour les combats de l’avenir ; peut-être avions-nous besoin d’être secoués par le malheur pour retrouver la virilité de notre race et le don toujours français d’accomplir de grandes choses.

A. Mézières.