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LE


CHAMP DE BATAILLE


DE SEDAN.




La France a éprouvé depuis trois longs mois tant d’autres émotions, elle a passé par tant d’angoisses et d’espérances, qu’il me semble entreprendre le récit d’un événement lointain en venant aujourd’hui parler de Sedan. La douleur, il est vrai, n’est point calmée, la plaie ouverte est toujours saignante dans les âmes françaises, et d’ailleurs il appartient aux témoins de ces catastrophes de dire ce qu’ils en ont vu, et d’apporter au procès désormais évoqué devant le tribunal de l’histoire leurs sincères dépositions. Il me semble du reste remplir un devoir de justice en montrant ce qu’était notre armée, notre armée écrasée plutôt que vaincue, et ce qu’en ces terribles journées furent nos malheureux soldats. Pleins d’ardeur, habitués à vaincre, allant à ces combats nouveaux avec le souvenir de leurs gloires passées et l’espoir de futurs hauts faits, ils devaient bientôt sentir que la bravoure est parfois inutile, l’héroïsme impuissant, lorsque l’emploi de ces mâles vertus est confié à des capitaines inhabiles, à un chef d’armée irrésolu, sans capacité et sans énergie. Se voyant sacrifiés, ils firent pourtant leur devoir. L’esprit d’initiative et la science qui manquaient aux généraux furent remplacés par le dévoûment du soldat. Si l’intrépidité personnelle et la force d’âme pouvaient triompher d’une discipline de fer et de masses innombrables, nos soldats, malgré les fautes de leurs chefs, eussent à coup sûr battu l’ennemi. N’ayant pu vaincre, ils ont payé de leur sang, et l’esprit de sacrifice, quoi qu’on en ait dit, le dévoûment au pays, en un mot la conscience même de la patrie, s’étaient réfugiés dans l’âme de ces humbles et