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nétrée du sentiment de l’honneur militaire, lorsqu’on apprit que le commandant en chef de l’armée du Rhin venait de livrer à l’ennemi une place réputée invincible, où jamais l’étranger n’avait pénétré, où depuis Sadowa on avait dépensé des millions pour augmenter le matériel de guerre, pour construire et armer six nouveaux forts ! La douleur qu’éprouvèrent alors les habitans de Metz, le département tout entier la partagea. Chacun se sentit atteint au plus profond de son cœur, dans son affection la plus chère et dans sa plus noble espérance. On allait donc voir entre les mains des Prussiens, sous la garde des sentinelles prussiennes, ces remparts que Charles-Quint n’avait pu prendre, ces bastions formidables, ces puissantes murailles, couvertes par deux rivières, auxquelles s’attachait l’idée d’une force inexpugnable, d’une résistance dont aucune artillerie ne viendrait jamais à bout. Qui ne comprit dans le département les scènes tumultueuses de la capitulation, le désespoir des gardes nationaux et des volontaires réduits malgré eux à l’impuissance, l’explosion de colère d’une partie des habitans sonnant le tocsin par la ville en courant à l’arsenal pour y chercher des armes ? Ils ne voulaient pas croire à la réalité de leur malheur, il ne leur était jamais venu à l’esprit que leur patrie, que Metz la Pucelle, jusque-là respectée et inviolable dans toutes nos guerres, pût succomber un jour, que l’armée sur laquelle ils comptaient pour la sauver fût précisément la cause de sa perte en épuisant ses vivres. L’irritation était si vive et si générale que le maréchal Bazaine dut quitter la ville en voiture fermée pour se dérober aux insultes de la foule, et que, dans les villages des environs, partout où il fut reconnu, les femmes l’accablèrent d’injures. Le conseil municipal de Metz, plus calme, mais non moins douloureusement ému du malheur public, exprima les sentimens qu’il éprouvait avec beaucoup de dignité dans une proclamation adressée aux habitans, où on lit ces nobles paroles, si modérées et par cela même si accablantes pour le commandant en chef de l’armée du Rhin : « Aucun de nous ne peut se reprocher d’avoir manqué à son devoir. Nous devons nous consoler avec l’idée que nos souffrances ne seront que passagères, et que, dans les faits qui viennent de s’accomplir, les habitans de Metz n’ont assumé aucune part de responsabilité, soit devant leur pays, soit devant l’histoire[1]. »

Hélas ! la population parisienne n’a-t-elle pas le droit de dire aussi au gouvernement de la défense nationale et le devoir des mu-

  1. Nous ne connaissions pas ce document lorsque nous avons essayé, dans la Revue du 1er décembre 1870, de porter un jugement sur la conduite du maréchal Bazaine. Quoique notre opinion fût faite dès lors et qu’aucun de nos lecteurs n’ait pu s’y méprendre, elle aurait été plus sévère encore, si nous avions connu tout ce qui nous a été révélé depuis, surtout si le mémoire du général Deligny eût déjà été publié.