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l’entreprise était plus scabreuse ; mais par l’avancement, par les distinctions et les faveurs, ne pouvait-il pas conserver encore une certaine prise sur elle ?

Le vice du mode de recrutement avait frappé tous les yeux, et le moyen de l’extirper au plus vite fut recherché par les publicistes. On se demanda encore une fois d’où venait la justice, et s’il était conforme aux principes du droit public que le choix de ses organes fût laissé à la discrétion du pouvoir exécutif ; on retrouva bientôt le fil perdu des enseignemens de la science. Montesquieu n’avait-il pas dès longtemps formulé à cet égard des règles certaines ? Il avait élevé la justice à la hauteur d’un véritable pouvoir, et il n’admettait pas que ce pouvoir se confondît avec aucun autre ou fût subordonné à aucun autre. « Si la justice, disait-il, était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d’un oppresseur. » Le mot est à retenir, car il explique et le règne qui vient de finir et les efforts que fit le pouvoir pour absorber l’action de la justice. Vainement l’assemblée constituante avait-elle inscrit dans la constitution la grande division des pouvoirs publics, en faisant ressortir comme il le méritait le pouvoir judiciaire. L’empire ne parla plus que de « l’autorité judiciaire. » La restauration, remontant à la féodalité, avait posé en règle que « toute justice émane du roi. » La confusion s’était encore une fois répandue sur l’un des grands principes de notre droit public, et le nouvel empire se garda bien de la dissiper. Il ne dit rien de l’institution, se chargea de la façonner à sa manière ; il s’efforça de l’attirer à lui, d’en faire une dépendance du pouvoir exécutif, de la rendre oppressive pour les libertés publiques ; le recrutement de la magistrature, il l’espérait du moins, lui suffirait pour atteindre ce but. Afin de ramener l’institution à ce qu’elle doit être, il faut d’abord rappeler, avec Montesquieu et la constituante, que la justice est un véritable pouvoir dans l’état, qu’elle a droit à une indépendance absolue. Le principe une fois posé et bien entendu, il s’agira d’en tirer les conséquences pratiques. Or l’indépendance du magistrat peut-elle se concilier avec l’action indirecte que le pouvoir exécutif était parvenu à exercer sur lui ? Qui oserait l’affirmer ? Il faudra donc anéantir cette action dissolvante pour la justice ; mais alors d’où viendra le choix ? On est remonté à l’origine des choses, et l’on a remarqué que le pouvoir judiciaire n’avait pas une autre source que le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, qu’il est lui-même une émanation du pays, et que c’est le pays qui délègue les deux autres pouvoirs. On s’est alors demandé pourquoi le pays ne déléguerait pas également le pouvoir judiciaire : là est tout le problème. Il se complique, il faut le reconnaître, d’une question d’aptitude ; la capacité du candidat est une des choses à considérer, et sous ce rap-