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L’œuvre de la justice trouverait-elle cependant un secours suffisant dans le personnel des magistrats que le blocus enfermait à Paris ? On se compta, et l’on reconnut que les vides pourraient être remplis. À la cour de cassation, vingt-huit magistrats étaient absens, à la cour d’appel trente-cinq, au tribunal dix-sept. Les absences à la cour suprême s’expliquaient en partie par la mesure que le gouvernement avait prise dès le 9 septembre. Le désastre de Sedan n’avait que trop annoncé le siège de Paris. Or il n’existe pour le pays qu’une seule cour de cassation. Après l’investissement, que deviendraient les pourvois en cassation de la province, sans compter que les affaires criminelles intéressent en général la liberté des plaideurs, et ne peuvent subir ni lenteur ni interruption ? Aussi, dans la prévision malheureusement trop fondée du blocus, le gouvernement avait-il autorisé le ministre de la justice à transférer à Tours la chambre criminelle de la cour de cassation. Malgré l’absence de la moitié de son personnel, cette cour s’est néanmoins constituée à Paris, et les trois chambres dont elle se compose, la chambre des requêtes, la chambre civile et la chambre criminelle, ont pu chacune tenir une audience par semaine. La chambre criminelle, que le garde des sceaux avait la faculté d’installer à Tours, n’y fut point transférée. Il parut plus prudent de lui donner pour siège la ville de Poitiers. C’est là qu’elle ouvrit ses audiences le 3 novembre. Bientôt elle était obligée de se rendre à Pau, où elle siège encore sous la présidence de M. Legagneur. Là sont jugées par elle les affaires civiles urgentes et les affaires criminelles en général. Les avocats et les avoués de la ville peuvent être autorisés à remplir devant cette chambre le rôle qui est conféré à Paris à un barreau spécial. Le grand service de la cour régulatrice se trouve donc par la force des choses réparti en deux sections, la section de Paris, la section de la province, et nulle part il n’a souffert d’interruption.

À la cour de Paris et au tribunal civil, toutes les audiences ont pu s’organiser, et elles s’ouvrent un jour par semaine. La cour d’assises a été fermée, non, il est vrai, faute de magistrats, mais faute de jurés, ceux-ci ayant de plus impérieux devoirs à remplir en face de l’ennemi. On conçoit qu’il eût été bien rigoureux de retenir sous les verrous jusqu’à la fin du siège des accusés qui peut-être eussent obtenu un acquittement du jury. Le président des assises a reçu la mission toute d’humanité de mettre en liberté provisoire ceux des accusés qui, à raison des faits relevés contre eux par l’accusation, leur paraîtraient mériter cette immunité. La vieille et belle salle des assises où passèrent tant de criminels, où se livrèrent de si mémorables débats, où furent discutés, pendant tout un règne les droits du pouvoir et ceux de la presse à une époque où le jury intervenait dans ces disputes, où vinrent s’asseoir des êtres comme Papavoine