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LA JUSTICE
PENDANT LE SIÈGE




I.

Le 3 novembre de chaque année, après deux mois de repos, la magistrature reprend ses travaux dans toute la France ; c’est là une tradition séculaire. Lorsque l’assemblée constituante voulut congédier les parlemens, ce fut à cette date qu’elle leur enjoignit de rester en vacance ; ceux-ci comprirent sans peine que la vacance cette fois pourrait bien être éternelle, et ils ne se trompaient pas. Ils protestèrent, on le sait, avec énergie ; mais l’ordre fut maintenu, et une institution nouvelle sortit des mains du législateur. De tout temps, la rentrée judiciaire a été entourée d’une certaine solennité. À la cour de cassation et dans les chefs-lieux de cour d’appel, elle est l’occasion de harangues prononcées par les membres du parquet en présence des chambres réunies siégeant en robes rouges. Cette année, les portes du Palais se sont ouvertes à Paris comme à l’ordinaire, mais sans apparat et sans bruit. On pouvait se demander si les audiences devaient tenir pendant le siège. Qui voudrait plaider ? À quoi bon d’ailleurs, puisqu’un décret avait permis de suspendre toute mesure d’exécution contre les débiteurs pour la durée de la guerre ? Mais on comprit que, même dans une ville investie, il convient que la justice soit à son poste, parce qu’elle est au nombre des grands services publics qui ne doivent s’arrêter que devant la force. C’était d’un bon exemple et d’un salutaire effet pour nous-mêmes. L’activité de notre esprit ne connaît point le rationnement, et c’est un malheur, car elle nous dévore ; elle ne saurait donc avoir trop d’aliment dans les heures douloureuses que nous traversons.