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nous imposait dans la paix les charges de la guerre sans nous servir efficacement pour la guerre elle-même : quand il ne serait pas jugé par ses fruits, nous ne pourrions plus de longtemps le supporter. Nous saurons, en évitant l’excès du militarisme, armer et discipliner la nation entière. Nous ne serons plus simplement « un pays qui a une armée, » et nous ne voudrons pas davantage être « une armée qui possède un pays ; » nous serons tout ensemble un peuple de citoyens et de soldats, réunissant sans les confondre et sans en sacrifier une seule toutes les mâles vertus qu’impliquent ces deux noms. En attendant l’heure propice, nous ferons à nos rivaux la seule guerre honorable que comporte l’état de paix ou de trêve, la guerre d’émulation. Ils ont voulu devenir une grande nation, et la fortune a souri à leurs efforts : nous mettrons toute notre intelligence et toute notre ardeur à nous élever de notre infortune présente, par le progrès continu de nos institutions, de nos mœurs, de notre industrie, de tous nos arts, de notre influence dans tous les genres, à un point de grandeur que nous n’avions pas encore atteint, auquel ils ne sauraient prétendre, et, puisque la lutte entre eux et nous a été surtout une lutte d’orgueil, si jamais nous devons nous sentir suffisamment vengés, ce sera quand nous leur aurons arraché l’aveu de notre supériorité reconquise. Nous avons encore assez de ressources matérielles et morales pour que cette suprême espérance ne soit pas la dernière chimère d’un joueur ruiné. Nous n’avons qu’à continuer ce que nous avons su faire depuis cinq mois et ce qui nous eût peut-être sauvés dès à présent, si nos chefs avaient moins douté de notre sagesse et de notre fermeté : ne pas nous abandonner nous-mêmes.

Émile Beausire.