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generis humani, que glorifiait déjà Cicéron. Quand il est fortement enraciné dans l’âme d’une nation, il n’y a rien à craindre d’un tel mélange. Les nobles sentimens se prêtent un mutuel concours. Nos pères de 1789 n’aimaient pas moins la France, et ils n’ont pas lutté avec moins de zèle pour sa liberté et pour sa grandeur, parce qu’ils avaient sans cesse à la bouche les mots d’humanité et de fraternité des peuples. Ce qui nous a perdus dans ces dernières années, ce n’est pas d’avoir pris trop de souci des autres, c’est d’avoir pris trop peu de souci de nous-mêmes. Réveillés par un coup, de tonnerre, nous n’abdiquerons aucun de nos devoirs ; mais nous les accepterons tels qu’une affreuse réalité nous les a faits, sans viser à un idéal qui n’est plus de saison : ce n’est pas notre faute s’il s’y mêle autre chose que des pensées d’union et de bienveillance universelle.

Notre haine est juste dans ses causes ; elle le sera dans ses effets, elle ne prendra point la forme du dénigrement. Nous continuerons à honorer chez nos ennemis tout ce qui sera vraiment digne d’estime. Pendant ce siège même, des concerts donnés pour en soulager les misères ou pour venir en aide à la défense nous ont fait applaudir, sans offenser notre patriotisme, des œuvres allemandes ; nous apporterons la même impartialité dans nos jugemens futurs sur la littérature, sur les sciences, sur les institutions mêmes de l’Allemagne. Nous ferons mieux : nous puiserons plus largement que nous n’avons fait jusqu’ici dans tout ce qu’elle offrira à notre imitation ; notre première vengeance sera de lui demander des armes contre elle-même. Elle nous a vaincus par ses écoles, par son organisation militaire, par son esprit de discipline : sur aucun de ces points, sans abdiquer nos qualités propres, nous ne voudrons lui rester inférieurs, et nous ne désespérerons pas de la surpasser. Nous ne chercherons pas d’autre part une mesquine et funeste satisfaction dans le rejet systématique de tous les produits de son industrie. Nous userons seulement de prudence dans des relations commerciales ou industrielles qui auraient tout à craindre d’une rupture toujours imminente, et il suffira de nous abstenir d’une cordialité qui répugnerait à notre patriotisme. Il faudra nous dispenser avec plus de soin encore, sous la seule pression du sentiment public, de cette coûteuse hospitalité qui a entretenu dans nos murs, dans nos ateliers et jusque dans nos foyers un peuple d’espions. Nous garderons la même réserve dans nos relations politiques. Nous ne nous abaisserons pas aux tracasseries ; nous ne chercherons pas des prétextes de guerre, mais nous nous tiendrons toujours préparés à faire servir à notre revanche la défense d’une juste cause. Nous ne persisterons pas dans ce système ruineux qui