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remporté la victoire, l’école romantique, gothique, germanique, chrétienne, triompha définitivement, ainsi que « l’art patriotique, religieux, allemand. » Napoléon le grand classique, classique comme Alexandre et César, tomba terrassé sur le sol, et MM. Auguste-Guillaume et Frédéric Schlegel, les petits romantiques, romantiques comme le Petit Poucet et le Chat botté, relevèrent la tête en vainqueurs[1]. »

Les romantiques, par leur fureur aveugle contre toutes les idées françaises, ne servirent que la cause de l’ancien régime. Il ne faut pas confondre avec eux les héros et les poètes de la délivrance, qui, en partageant leurs haines et leurs colères, avaient au moins l’excuse d’un véritable patriotisme et d’un sincère amour de la liberté. L’Allemagne devenait enfin une nation. Ce que n’avaient pu faire ni l’unité de la race et du langage, ni l’union fédérative sous la couronne impériale, la philosophie et les lettres l’avaient préparé en réunissant tous les pays allemands dans le sentiment d’une gloire commune ; l’insolence d’un conquérant allait compléter l’œuvre en ajoutant à ce lien celui d’une commune oppression et d’un même désir de vengeance. Nous n’avons plus à raconter ici ce réveil ou plutôt cet éveil d’une nation. Les Allemands doivent nous rendre cette justice, que nous avons toujours applaudi sans arrière-pensée à tous les efforts de leur patriotisme naissant. Nous n’avons pas même protesté contre le caractère agressif et violent à notre égard qu’ils ont donné à ces efforts. Nous avons pardonné à Lessing et à Schlegel lui-même la guerre sans mesure et trop souvent sans justice qu’ils ont faite à toute notre littérature. Nous ne nous sommes pas scandalisés davantage de l’emportement injurieux avec lequel un Kœrner ou un Arndt soulevaient contre nous tant de colères, affectant de confondre la France tout entière avec le chef dont elle-même portait le joug, et d’oublier l’esprit généreux et bienveillant qu’elle apportait dans ses conquêtes, ainsi que les bienfaits de tout ordre qui en rachetaient en partie l’odieux. Ces violences et ces injustices étaient peut-être nécessaires pour échauffer un patriotisme encore incertain. Elles ne nous suggéreront qu’une remarque : elles attestent ce qu’il y a eu de lent et d’imparfait dans le mouvement national de l’Allemagne. Des provocations incessantes à la haine de l’esprit français avaient pu seules produire ce mouvement sous sa forme littéraire ; il fallut plusieurs années de provocations semblables à la haine de la France elle-même pour qu’il prît définitivement sa forme patriotique. La Prusse, écrasée à Iéna, ne compte que sur la Russie pour se relever, et quand son alliée est vaincue à son

  1. De l’Allemagne, t. Ier, IVe partie.