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l’appel. Les témoins de nos différens combats ont pu s’assurer que, si les enfans de la Somme sont braves comme leurs camarades des autres régions, ils montrent un calme qui promet dans l’occasion la solidité si nécessaire au courage. Marcher au secours de leurs frères du reste de la France est devenu une tradition historique pour eux. Amiens n’a jamais été révolutionnaire. Un de ses députés en 1793 l’accusa d’incivisme ; Amiens répondit en envoyant huit cents de ses gardes nationaux à Lille, que l’ennemi bombardait. En 1814, 1,200 paysans et ouvriers de Doullens et des environs marchèrent avec un détachement de la jeune garde contre les cosaques du baron de Geismar. Abbeville, plus énergique encore, fournit 600 volontaires au siège de Lille en 1792, 800 à Dunkerque menacé, tandis que trois bataillons ruraux de 3,400 hommes couraient à la frontière. Si la Somme n’a pas été mêlée aux engagemens les plus importans du siège de Paris, il faut reconnaître qu’elle a eu le prix de la promptitude ; il faut y ajouter peut-être celui de la bonne tenue. Convoqués à la citadelle d’Amiens, dernier reste des fortifications de cette ville autrefois guerrière, les mobiles du 1er bataillon partaient quelques jours après tout équipés, et venaient se cantonner au collège Sainte-Barbe, en jetant gaîment aux Parisiens ces cris : « Picardie ! la Somme ! » Ils étaient fiers et avec raison de leur belle taille, de leur fourniment irréprochable. Ce bataillon modèle réjouit durant des semaines la rive gauche de ses marches militaires, du son de ses fanfares variées.

Le seul bataillon de l’Aisne qui ait pu nous rejoindre, celui de Villers-Cotterets, de la Ferté-Milon et de Château-Thierry, est moins brillant, mais aussi solide et bien plus nombreux. Partagé entre la Champagne et l’Ile-de-France, son arrondissement est agricole et forestier. Vigoureux et sains, durs à la besogne, ces jeunes paysans sont représentés par leurs officiers comme de vrais et bons enfans, très attachés à leur terre, à leur famille, que les larmes aux yeux ils ont laissée en proie à l’ennemi. Tout campagnards qu’ils sont, ils ne manquent pas d’instruction ; sous ces blouses blanches que Paris vit arriver avec étonnement le 6 septembre au soir, il y avait plus d’un bachelier. Le moyen de deviner qu’il y avait un diplôme dans les poches de certains de ces hommes portant tous leur petit paquet sur l’épaule, et la baïonnette enfilée dans une volaille ou dans des bottes de légumes, modestes et prudentes provisions ; achetées ou recueillies sur la route par ces compatriotes de Racine, et de La Fontaine ? Ces villageois produisirent une vive sensation en parcourant le boulevard Sébastopol pour se rendre au lycée Saint-Louis. C’était le premier bataillon que les Parisiens voyaient arriver dans cet accoutrement rustique. La tunique et le fusil Chas-