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les enfans de ces villes n’avaient-ils pas à régler avec l’ennemi ! Les bataillons de Seine-et-Marne ont eu plus d’occasions de combattre durant notre siège ; mais combien de souvenirs leur avaient légués leurs devanciers ! Quels récits de combats, de violences, de passages perpétuels de troupes, n’ont pas entendus dans la veillée les paysans des environs de Montereau, de Provins et de Meaux ! Cette dernière ville a vu partir son bataillon au moment même où les ennemis allaient y entrer. Quelques-uns que nous avons entendus laissaient une femme, des enfans ; leurs concitoyens, sans un soldat, presque sans armes, songeaient pourtant à se défendre. Orléans, quoique à 30 lieues de Paris, semble un faubourg de la capitale par sa richesse, et surtout par son esprit alerte, plein de saillies. Appelée par la destinée à jouer dans nos invasions un rôle qui le cède à peine à celui de Paris, cette noble ville, prise, reprise deux ou trois fois en 1814 et 1815 comme en 1870, nous a envoyé des bataillons dont la tournure déjà militaire, dont les blouses blanches n’avaient rien de grossier ni de rustique. On eût dit des francs-tireurs armés à la légère pour aller à la chasse de l’ennemi. Tout le monde sait les pertes nombreuses que le sort des combats leur a infligées ; on ferait une longue liste de ceux de leurs officiers qui sont venus mourir sous nos murs. Pithiviers n’avait pas oublié le pillage ordonné par l’hetman des cosaques, Platov. Montargis, la ville guerrière, inscrira sans doute plus d’un nom nouveau sur les panneaux de sa salle des élections, où elle grave le souvenir de ceux qui sont morts pour la patrie. Pourrions-nous oublier ici le brave colonel de Montbrison, qui les commandait ? Il a succombé à la suite de la fatale journée de Montretout, comme si cette âme guerrière s’était refusée à la douleur de voir la chute de Paris. Ancien officier dans l’armée, ayant largement payé ce qu’il devait au pays, il s’était engagé, au commencement de la guerre, dans une ambulance. Après avoir prouvé sa valeur, il se croyait obligé de mettre son humanité au service de ses anciens compagnons d’armes. Quand les circonstances devinrent plus graves, il crut que son ancienne dette, augmentant avec les malheurs de la France, n’était plus soldée au gré de son honneur. Il reprit cette épée que l’on a vue briller pour la dernière fois le 19 janvier. Il la dressait en l’air portant au bout son képi pour être mieux vu de ses soldats. L’ennemi le voyait aussi : une balle prussienne vint le frapper mortellement.

En parcourant les bataillons provinciaux dont il nous reste à parler, nous avons fait comme un tour de France. Chacun des départemens nous est apparu avec sa physionomie. Au nord la Picardie, avec sa loyauté et sa cordialité proverbiales, n’a pas manqué à