Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/486

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de cuivre suivant le modèle ministériel ; tel autre se contentait de la vareuse à plis froncés. À défaut de drap bleu, le drap noir était de mise. Les képis qui étaient blancs au départ, ceux par exemple de la crayeuse Champagne, sont restés blancs. Une seule règle demeura inflexible, l’uniformité du bataillon et les bandes ronges du pantalon et du képi, dont la réunion, qui est de rigueur, fait connaître à cent pas le garde mobile de toutes les provinces.

Ces différences dans le costume sont une image de celles qui existent entre les bataillons, et si les préoccupations de l’heure présente le permettaient, il y aurait lieu à d’intéressantes descriptions des habitudes, des mœurs dont les diverses populations réunies sous nos remparts et aux grand’gardes offriraient l’occasion. Paris d’abord se distingue des départemens par son attitude, par sa tenue, par la nature particulière de son courage et de son ardeur au combat. Dans Paris même, il y a plusieurs régions qui ont leurs caractères particuliers. Cette admirable capitale, si bien unie contre les ennemis du dehors malgré une poignée d’ambitieux et d’insensés, se divise elle-même en provinces. Elle contient plusieurs villes en une seule, la ville de la noblesse et des grands propriétaires, celle de la banque et des capitaux, celle des universités, celle du commerce et de l’industrie, celle des rentiers et des petits bourgeois. Chacune d’elles a offert à la défense du pays une jeune troupe qui est le fidèle miroir des familles qui l’habitent.

On sait que toutes les villes voisines se jalousent ; les quartiers d’une même ville en font sans doute autant. Au camp de Châlons, un bataillon de mobiles parisiens très bien tenu, plein de zèle et d’ardeur, fut remarqué par les autres à cause des marches militaires continuelles que lui faisait exécuter son commandant, ancien officier de chasseurs à pied. Ils s’en amusaient et disaient : « Voilà les baladeurs qui passent. » À leur tour, les bataillons populaires prennent l’avantage quand il s’agit de travaux manuels, et l’on voit les jeunes gens aux membres délicats gémir un peu à la peine dans le fossé qu’ils creusent, et après quelques coups de pioche regarder tristement leurs mains couvertes d’ampoules. D’autres fois, ce qui pourrait être plus sérieux, les différences d’opinion politique s’accusaient. De simples suppositions produisaient des malentendus qui montrent à quel point les classes sociales à Paris s’ignoraient les unes les autres ; heureusement le service en se rapprochant les a fait se connaître. Au même camp de Châlons, le jour où fut annoncée cette sanglante bataille de Gravelotte que l’on nous donna pour une victoire, les uns voulurent illuminer, les autres jurèrent d’éteindre les lampions. C’était le 15 août, et la joie trop empressée des premiers était soupçonnée de bonapartisme. Inutile de dire que