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démission pour s’établir et jouir d’une fortune honorable, les autres appartenant aux professions libérales, tous se sont empressés de mettre sur pied leurs compagnies, ont excité les hommes, encouragé les familles, payé de leur personne, souvent de leur bourse, pourvu aux premiers besoins. Désignés les uns depuis un an par le gouvernement déchu, les autres sur le moment par les généraux commandant la place, le plus souvent choisis par leurs officiers supérieurs, ils se sont montrés presque partout à la hauteur de leurs fonctions ; ils ont prouvé que le choix dicté par des circonstances impérieuses vaut mieux dans le militaire que l’élection. La subordination naturelle du paysan envers le propriétaire, de l’ouvrier envers l’homme de condition, a confirmé les choix. Quand, sous l’influence des préjugés d’un autre temps, le gouvernement a remis les officiers au vote de leurs compagnies, la confiance des mobiles envers ceux qui les commandaient s’est trouvée si grande que les soldats ont fait ça et là entendre des menaces, croyant qu’on prétendait changer les hommes à qui ils étaient déjà tout dévoués. La réélection pure et simple a montré dans la garde mobile des provinces et dans une bonne partie de celle de Paris que les soldats avec leur dévoûment étaient plus sages que le gouvernement avec ses scrupules. Cette consécration des droits acquis eut lieu au moment même du combat de Bagneux et de Châtillon vers le milieu d’octobre, et certains bataillons eurent le plaisir de saluer de leurs votes unanimes leurs officiers qui venaient de recevoir le baptême du feu.

La réélection des chefs sévères a fourni la preuve la plus évidente du bon esprit des bataillons. Une vaine popularité ne dictait pas leur vote : ils comprenaient qu’une justice rigoureuse, une exactitude et un dévoûment éprouvés tenaient lieu de la recommandation la plus efficace. Le goût de la discipline est pour les troupes ce qu’est pour les individus le sentiment de la conservation. Dans les compagnies où les officiers ont été changés, l’échec des supérieurs a été déjà leur faiblesse, à leur manque d’énergie ou de capacité. Remplacés en général par d’anciens sous-officiers de l’armée, leur amour-propre blessé a dû moins trouvé une excuse dans l’absence d’aptitudes militaires, et encore ils ont pu s’assurer pour la plupart que leurs successeurs ont donné lieu de les regretter. Un peu plus de connaissances militaires, d’une acquisition d’ailleurs facile, n’a pas suppléé partout à l’ignorance et au défaut d’éducation. Les compagnies qui en sont au regret d’avoir changé profiteraient, nous en avons la conviction, de cette leçon de l’expérience, si la prudence du gouvernement ne lui faisait pas désormais une loi de donner aux soldats des chefs qui ne soient pas leurs créatures. Nous considérons comme une heureuse fortune de la garde mobile que