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vre conscrit comprend enfin la religion du drapeau. Le mobile a dès le premier jour une réputation à soutenir dans sa compagnie ; elle le suivra chez lui ; si l’institution dure, le nom de l’homme laissera des traces dans cette troupe dont la mémoire sera aussi tenace que celle du village. Le fils trouvera sous le drapeau le souvenir de son père, et songera qu’il doit léguer le sien à ses enfans. Ce régiment-là ne sera pas une masse anonyme dans laquelle on est englouti quand on y entre et qui se referme quand on en sort, sans conserver une marque de l’homme qui l’a traversée. Nous ne prétendons pas comparer la garde mobile à l’armée permanente ; nous voulons encore moins prononcer entre deux genres de soldats qui, selon toute apparence, seront conservés les uns et les autres dans les conditions les plus favorables à la défense du pays : notre but unique est de montrer les avantages d’une force publique représentant non-seulement le peuple lui-même combattant, mais les provinces, les villes, les hameaux sous les armes.

Ces avantages, il est vrai, ont leur fâcheux contre-poids. Les douleurs attachées à la guerre sont rendues plus poignantes : un bataillon décimé répand le deuil dans tout un arrondissement ; une compagnie détruite jette la désolation dans tout un village. Avec des corps de troupes composés d’hommes venant des quatre points cardinaux, l’effet d’un tel accident était presque nul ; les nouvelles de mort éparpillées de tous côtés ne se grossissaient pas les unes les autres comme des échos prolongés, accablans. Chacun avait sa perte douloureuse, mais tous les enfans d’un même père n’étaient pas exposés à périr dans un même naufrage. C’est ce qui arrive en Prusse à l’occasion des combats de la landwehr, et nous ne voyons pas que le gouvernement en soit bien ému ; cependant la douleur publique n’y est pas balancée par la volonté nationale décidant librement la guerre. La nation ne fait qu’obéir à l’ambition des princes ; ce n’est pas pour le salut de tous, c’est pour la cupidité d’une caste féodale que les malheureuses familles versent à flots leur sang le plus cher. Dans un pays comme le nôtre, où l’état ne peut subsister sans faire voter par les citoyens tous les impôts et surtout celui de la vie des générations, doit-on chercher à leur dérober la connaissance des maux auxquels ils se seront librement exposés ? Ils sauront accepter les sacrifices que réclame la nécessité de leur existence nationale ; la conduite présente de la nation dans une guerre désastreuse dont elle n’aurait pas donné le signal montre assez comment elle sait les supporter.

C’est donc la province elle-même que nous avons vue entrer dans Paris durant la semaine qui a précédé celle de notre investissement. Au moment où nous allions être séparés de la France, nous avons