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parce que les villages se passent de main en main et de jour en jour le soin de la guerre de partisans. La garde mobile est une levée en masse du pays, mais par bans successifs. Ceux qui ne sont pas venus affronter les dangers et les privations de notre siège ont défendu Toul, Strasbourg, Metz ; ils ont pris part aux batailles dont nous connaîtrons plus tard les péripéties. Les hommes de vingt-cinq à trente, de trente à trente-cinq ans, ont grossi leurs rangs ou se tiennent prêts à marcher sur leurs pas. Au milieu de nos malheurs, nous avons cette consolation, que la France livrée à elle-même a profité de l’expérience du passé.

Un caractère particulier de la garde mobile et surtout nouveau pour notre pays, c’est la correspondance exacte des bataillons et des arrondissemens où ils ont été levés. Tous les hommes réunis sous le même drapeau sont des enfans du même pays. Il est douteux qu’une pensée préconçue ou qu’une imitation de la landwehr prussienne ait présidé à cette organisation. Ce résultat, dont il convient de se féliciter, a été le produit de la force des choses. Pour la première fois en France depuis le moyen âge, la nécessité se présentait de faire des recrues sans les déranger de leur commune, et de former des cadres sur le modèle même des cantons. C’est tout simplement une vaste décentralisation imposée par le hasard et commencée par l’élément militaire, qui, en France, a été le premier et le plus fortement centralisé. Un bataillon, je dirai plus, une compagnie de mobiles, c’est la jeunesse même d’une commune qui se déplace et emporte avec elle son patois, ses habitudes, ses jeux, ses souvenirs, et, pour ainsi dire, son village même. Ces soldats se connaissent par leur nom, par leur famille, par leurs amis ; ils ne sont ni exilés, ni dépaysés. Ils trouvent à qui parler de leur mère, de leurs sœurs. Notez que souvent ils sont mariés ; nous connaissons des bataillons où les pères de famille sont dans la proportion de 20 pour 100. Leurs conversations prolongent peut-être les regrets de l’absence ; mais la nostalgie partagée trouve en elle-même son remède. Ils forment une colonie, non un ramassis d’hommes étrangers les uns aux autres. Dans leur rustique langage, ils se répètent sans le savoir les touchantes paroles d’Énée ou de Teucer à leurs compagnons. Cette crise morale du soldat qui arrive au régiment avec sa simplicité que l’on prend pour de l’ignorance, sa gaucherie qui est traitée de bêtise, sa tristesse dont personne n’a compassion, ils ne la connaissent pas. Outre les garanties que présente cet état de choses pour la préservation de la santé et du moral des hommes, pour combien ne faut-il pas compter l’émulation qui les anime dès le moment du départ. Chez eux, le sentiment de l’honneur n’attend pas la période souvent éloignée après laquelle le pau-