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core nos murs et nos maisons compte au moins 25,000 artilleurs, et tout cela pour un simple bombardement ! Sans doute l’ennemi nous a fait du mal, et nous pleurerons longtemps les victimes frappées par ses obusiers ; mais tout le mal qu’il nous a fait ne vaut pas la peine qu’il a prise. Il a imprimé à Paris une marque d’honneur que rien n’effacera, et il s’est gratuitement imprimé à lui-même une marque d’infamie qu’il aura bien de la peine à laver. Dans tous les quartiers de la rive gauche, pas une église, pas un hôpital, pas une école, pas un palais, pas un lycée, pas un musée, pas un grand établissement public ou privé, rien n’a été épargné, tout a servi de point de mire. On peut ouvrir un plan de Paris, et dans tous les arrondissemens de la partie sud de la ville marquer invariablement à l’encre rouge tous les monumens de ces quartiers comme autant de points plusieurs fois frappés par les obus. Dans la nuit du 8 au 9, qui a été la plus terrible du bombardement, cinquante obus sont tombés autour du Panthéon. Coup sur coup, le Muséum, les Invalides, ont été atteints. On sait avec quelle rage le Luxembourg et le Val-de-Grâce ont été visés. Il y avait là des ambulances, et M. de Moltke, quoiqu’il ait pu répondre en prétextant du brouillard nocturne, le savait bien. Nous avons parcouru les lieux, et nous pouvons affirmer que la justesse du tir allemand est inscrite à chaque pas sur le sol et sur les murs. Les monumens que nous venons de citer sont au premier rang des édifices atteints. On voulait donc anéantir Paris, le Paris littéraire, le Paris scientifique et religieux, qui est tout entier de ce côté-là de la Seine ! Au Muséum, où Buffon, Jussieu, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, des savans qui honorent l’humanité tout entière, ont résidé, ont fait leurs immortels travaux, ont laissé des choses uniques et avec tant de peine rassemblées, est tombée la grêle des obus prussiens, qui ont détruit la magnifique serre des orchidées et une partie des collections d’histoire naturelle, pertes irréparables !

C’est assez s’étendre sur des faits que l’histoire impartiale et sévère enregistrera pour la honte de notre ennemi, et sur lesquels l’opinion publique a déjà suffisamment prononcé non-seulement à Paris et en France, mais encore en Europe, dans le monde, sans doute aussi en Allemagne. Donnons cependant quelques chiffres pour montrer une fois de plus l’inanité, disons mieux, la folie des bombardemens comme mesure militaire, alors que les faits que nous venons de citer en révèlent toute la barbarie au point de vue de la civilisation.

En treize jours, du 5 au 18 janvier, on peut calculer qu’il est tombé sur Paris seulement environ 500 obus par jour, qui ont frappé en tout 308 personnes, dont un quart environ sont mortes