Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désastreux pour les immeubles des particuliers. Quelques propriétaires, chassés de leur demeure, par la mitraille, n’ont pu se résigner à abandonner tout à fait les lieux, et on les rencontre rôdant tristement autour de leur maison que visite la nuit la tourbe sinistre des maraudeurs.

La foudre n’a pas plus de caprices, ne produit pas d’effets plus étranges que l’obus. À Auteuil, dans l’écurie de la compagnie des omnibus, un projectile pénètre par la porte en touchant légèrement le sommet d’une des voitures rangées dans la cour. Il éclate, et sur vingt-quatre chevaux il en tue huit et en blesse neuf. Un peu plus loin, un projectile entre par la fenêtre dans le poste sémaphorique et télégraphique de la route de Versailles, traversa trois salles, crève un plancher, et éclate sans blesser personne : on dirait que, comme la foudre, l’obus recherche l’électricité. Dans une cave où étaient disposées des barriques de pétrole, un obus arrive par un soupirail et met le feu à l’huile minérale ; mais voici un fait plus singulier : à l’École des mines, où plusieurs projectiles sont tombés, un d’eux est allé se loger sur la table même du professeur de minéralogie, et il est resté là sans éclater ! Or on sait que M. Daubrée a fait sur les météorites ou pierres tombées du ciel des études très curieuses, très patientes, et qui ont occupé une partie de sa vie. Les météorites, presque entièrement composés de fer, ont à peu près la même composition que les obus. Le projectile de l’École des mines forme donc un échantillon de plus que M. Daubrée pourra joindre à sa collection, car il n’est pas jusqu’à la courbe qu’il a suivie, courbe parabolique, qui ne soit la même pour les astres, pour les météorites et pour les obus.

Le bombardement n’a rien respecté. Des hauteurs de Bagneux, Châtillon, Fontenay, Clamart, Meudon, Sèvres, que les Prussiens connaissent bien, car ce sont ces mêmes points que leurs armées occupèrent en 1814 et 1816, peut-être aussi des hauteurs de l’Hay, qui sont à gauche de Bourg-la-Reine, ils ont envoyé sur Paris, la nuit, leurs obus de 28, 50 et même 94 kilogrammes. Les gigantesques canons Krupp, attendus, par le roi Guillaume avec tant d’impatience, s’en sont donné à cœur joie. Les journaux allemands nous avaient récemment menacés « du plus formidable combat d’artillerie que le monde ait vu jusqu’à présent. » Environ 1,500 canons de tout calibre, depuis celui de 12 jusqu’à celui de 96, et les mortiers monstres qui ont fait merveille devant Strasbourg sont en position. Une quantité de munitions s’élevant à 750,000 charges, soit 500 coups par pièce, est arrivée devant Paris. Tout cela est desservi par 125 compagnies de siège, chacune de 200 hommes, de sorte qu’à l’heure présente l’armée allemande qui battait hier en-