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si énergiquement soutenus par d’autres, a eu lieu quand les premiers fusils ont détrôné l’arbalète, quand le fusil à pierre a remplacé le fusil à mèche, la baïonnette la pique, le fusil à percussion le fusil à pierre. De quelles objections n’a-t-on pas même accueilli, il y a trois ans, notre chassepot, le modèle par excellence du fusil à tir rapide ! Ici nous n’accusons personne ; ce qui s’est vu dans les oppositions que l’on signale se reverra encore et toujours. C’est là un fait inhérent à la façon dont procède l’esprit humain, et tous les canons Krupp du monde n’y peuvent rien.

Une des raisons que mettent le plus volontiers en avant ceux qui attaquent les canons d’acier se chargeant par la culasse, c’est, on l’a dit, la difficulté d’obtenir en masses et en qualités suffisantes cet acier lui-même pour la fonte des bouches à feu. Le moindre défaut, la moindre fissure, le moindre vide intérieur, ce que les hommes du métier appellent des pailles, des criques, des soufflures et qu’on rencontre si souvent dans les masses de métaux fondus, ont ici un inconvénient des plus graves ; ils diminuent, annulent presque la ténacité du métal, et la pièce peut éclater. Sans doute ; mais ce que M. Krupp a si bien obtenu en Allemagne, c’est-à-dire des blocs énormes d’acier fondu qui depuis quinze ans et plus faisaient dans toutes les expositions et sur tous les marchés, l’admiration des connaisseurs, l’administration française ne pouvait-elle l’obtenir elle-même, fût-ce au moyen de quelques encouragemens donnés à propos aux industriels ? Dans les usines du Creusot et dans celles de Rive-de-Gier, pour n’en pas citer d’autres, on aurait pu, si le gouvernement avait poussé les métallurgistes dans cette voie, rivaliser avec les usines de M. Krupp. Nous avons pour cela les minerais, les combustibles, les fondans et les ouvriers convenables. Ne recevant aucune impulsion du côté de l’état, les industriels, qui de préférence travaillent pour les arts de la paix plutôt que pour ceux de la guerre, n’ont fait que des progrès lents dans leurs procédés de fabrication de l’acier, et ils ont fini par oublier leurs intérêts eux-mêmes. C’est ainsi que l’on a vu, à la dernière exposition de 1867, l’Angleterre et l’Allemagne nous devancer non-seulement dans la fabrication des canons, mais même dans celle des rails d’acier, qui offrent un si grand avantage sur les rails en fer. Le Creusot, notre plus grand établissement métallurgique, sentit la blessure, et il venait d’adopter deux des principaux procédés de fabrication en grand de l’acier fondu, celui de l’Anglais Bessemer et celui du Français Martin, quand la guerre avec la Prusse éclata.