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cubes allaient en croissant avec rapidité du sommet à la base, de la période de la Prusse d’Iéna à celle de la Prusse de Sadowa ; mais tout cela devait rester lettre morte pour nos gouvernans, et ceux-ci devaient passer à peu près indifférens devant les canons d acier de M. Krupp, dont nos places fortes et principalement Paris allaient, avant trois ans, éprouver les funestes effets.

C’est avec l’acier que sont fondus presque tous les canons de l’artillerie prussienne, surtout avec l’acier Krupp. On sait, que trois métaux sont de préférence employés à la confection des canons : la fonte de fer, qui est encore en usage dans l’artillerie de place et de marine, — le bronze, qui est, pour ce cas spécial, un alliage d’environ quatre-vingt-dix parties de cuivre pour dix d’étain, — l’acier, qui ne diffère de la fonte de fer qu’en ce qu’il renferme quelques millièmes seulement de carbone, tandis que celle-ci en contient toujours quelques centièmes pris à divers corps étrangers. Cette faible différence dans la composition chimique suffit pour faire de ces deux métaux, la fonte de fer et l’acier, non-seulement deux produits complètement distincts du métal originel, le fer, mais encore entièrement dissemblables. La fonte a un point de fusion moins élevé que celui de l’acier : elle devient liquide vers 1,100 degrés du thermomètre centigrade, tandis que le point de fusion de l’acier est placé entre 1,500 et 1,800 degrés ; la contexture, la ténacité, la dureté, l’élasticité des deux métaux, sont aussi très différentes, et l’acier offre en général un avantage très marqué sur la fonte. Quelques parties de carbone en plus ou en moins sont la principale cause de ce phénomène. La chimie nous fournit tous les jours bien d’autres faits de cette espèce, dus au jeu mystérieux des atomes des corps. L’acier Krupp se distingue de la plupart des aciers du commerce en ce qu’il forme une sorte de métal particulier encore plus homogène, plus tenace, plus résistant que les autres aciers, et aussi en ce qu’il s’obtient en grandes masses par la fusion, résultat dû d ailleurs à des pratiques dont M. Krupp n’a jamais révélé tout le secret. Quoi qu’il en soit, c’est avec cet acier de qualité supérieure, exceptionnelle même, que sont faits la plupart des canons prussiens, surtout les canons de siège braqués sur Paris.

Il n’est pas besoin d’insister sur les avantages que l’acier présente, non-seulement sur la fonte de fer, mais encore sur le bronze, dans la fabrication des bouches à feu. L’acier fondu permet, par une plus grande ténacité, de réduire les dimensions et par suite le poids des pièces ; par une étonnante dureté, il met l’âme de celles-ci à l’abri des déformations, et alors qu’une pièce de fonte lisse peut résister à peine à mille coups, une pièce de bronze à deux mille, une pièce d’acier rayée peut supporter un nombre de coups beaucoup plus