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au droit des gens ? La moitié du peuple alsacien sera-t-elle odieusement condamnée à l’abjuration de sa langue native et maternelle. La Providence ne le permettra pas.

Une circulaire énergique et récente, émanée de la délégation de Tours, a eu trop de retentissement pour que l’on ne soit pas dispensé ici d’entrer dans une plus longue énumération des autres omissions du droit des gens dont le gouvernement prussien parait avoir pris la responsabilité. Nous y renvoyons nos lecteurs[1]. À quoi bon d’ailleurs ces menus détails, si le but avoué de la guerre était aujourd’hui d’assurer la prédominance de la force sur le droit, et d’en profiter pour détruire un grand état, précipité par la folie de son gouvernement dans une aventure insensée ? C’est à ce dogme insensé lui-même qu’il faudrait s’attaquer. Si la guerre devait avoir pour résultat inévitable de perpétuer la guerre par l’énormité des torts et le ressentiment des injures, il faudrait désespérer de l’humanité qui reviendrait à l’état sauvage, où la destruction d’une tribu par une autre est livrée au sort incessant de combats à outrance. Telle serait la conclusion d’une philosophie chère à l’Allemagne contemporaine, qui érige en doctrine la destruction d’un peuple inférieur par un peuple supérieur ! Atroce théorie, dont la conséquence est d’ouvrir le champ libre aux tentatives de la violence, de substituer la force à la moralité, de supprimer de ce monde l’idée de la justice et du droit, et d’étouffer la conscience du genre humain ; scilicet illo igne conscientiam generis humani aboleri arbitrabantur. Traduite de son langage obscur en français clair et net, la doctrine hégélienne n’est autre que la théorie du combat judiciaire transportée dans le domaine politique et international. Les guerres d’état à état sont bien, à la vérité, des duels ; mais la proclamation philosophique du duel, comme moyen d’obtenir la manifestation de la justice et du droit, est une vieille hallucination de l’ignorance brutale, qu’on ne devait pas s’attendre à voir élever sur les hauteurs de la philosophie transcendante. Frédéric II, le grand et suprême fondateur de la puissance prussienne, eût désavoué l’explosion passionnée qui s’est produite à notre époque. Sa vie et ses ouvrages attestent le profond attachement qu’il professait pour la France, à laquelle il avait de grandes obligations. La guerre de sept ans n’avait rien changé à ses sentimens à ce sujet. Il avait fait de Berlin une ville presque française. Son esprit supérieur n’aimait et

  1. Les violations de la convention de Genève ont été dénoncées à l’opinion ; mais la question du Luxembourg n’est pas encore peut-être suffisamment éclaircie pour en parler. Les sommations à un état neutre de livrer des prisonniers évadés et réfugiés ne sont pas non plus assez authentiquement établies pour que nous puissions les discuter. Quant à l’affaire des navires anglais dans la basse Seine, elle ne nous regarde pas, à vrai dire ; mais quel avertissement pour l’Angleterre et pour l’Europe !