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C’est avec colère qu’on en a vu retarder le moment. Une sorte de pression impatiente a été exercée à cet égard sur la direction des opérations militaires. L’histoire fera la part de responsabilité qui revient à chacun.

La dernière guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne (1813-14) avait été marquée par le bombardement de Washington, exécuté par l’amiral Cochrane, en représailles d’actes de destruction commis par les Américains dans le Canada. Le bombardement de Washington souleva un mouvement d’opinion contre le gouvernement anglais, déjà fort critiqué pour le bombardement de Copenhague au commencement du siècle, et le célèbre orateur Mackintosh en fit l’objet d’une accusation contre le ministère à la chambre des communes. Il considérait, disait-il, cette œuvre de destruction comme cent fois plus honteuse pour l’Angleterre que la pire défaite. C’était une rigueur qui devait faire de la puissance anglaise un objet de haine publique et d’alarme européenne ; elle donnait d’avance l’amitié des Américains à tout ennemi qui s’élèverait contre l’Angleterre. Il y voyait l’acte qui aurait le plus exaspéré le peuple américain et le moins affaibli son gouvernement ; cet acte était impuissant à remplir le but justifiable de la guerre, et de plus contraire à toute prévoyance. C’était une attaque, non contre la force ou les ressources d’un état, mais contre l’honneur national et les affections publiques d’un peuple. Après vingt-cinq ans de la guerre la plus violente, ajoutait-il, dans laquelle chaque grande capitale du continent européen avait été épargnée, presque respectée par l’ennemi, était-il réservé à l’Angleterre de violer cette courtoisie universelle, cette estime décente envers les sièges de la dignité nationale, estime qui, au milieu des emportemens de l’inimitié, manifestait le respect des nations civilisées les unes pour les autres ? Que signifiait cette exécution militaire contre les demeures paisibles du citoyen, contre l’asile du pauvre, contre des palais de gouvernement, des salles de législation, des tribunaux de justice, des dépôts d’archives, des monumens de l’histoire, et contre les collections des arts qui honorent l’humanité, toutes choses consacrées aux œuvres de la paix et à la gloire des sociétés civilisées, sans acception de nationalité ? Il rougissait pour l’Angleterre de cet outrage au sens commun du genre humain et à la raison publique de son siècle. — Le parlement anglais ne pouvait effacer un fait accompli ; mais il témoigna hautement sa désapprobation au ministère qui avait donné des ordres et à l’officier-général anglais qui les avait exécutés avec une promptitude inconsidérée.

En bombardant la population parisienne, M. le comte de Moltke n’a fait que mettre en pratique une maxime déjà énoncée au siège de Strasbourg, lorsque le vénérable évêque de la ville noble alla de-