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rallélisme de mouvemens qui règnent dans les ouvrages anciens de la sculpture grecque.

Si, de la manière dont les mots sont disposés, l’on passe au choix même de ces mots, on trouve encore cette même ressemblance entre Antiphon et Thucydide. Ce que l’un et l’autre recherchent par-dessus tout, c’est une exacte propriété dans le choix des termes. Obéissant aux leçons de Prodicos, qui avait le premier donné l’exemple de ces recherches et de cette insistance, ils font un visible effort pour distinguer nettement jusqu’aux expressions synonymes : ceci, chez Antiphon, va souvent jusqu’à l’exagération. Cette justesse et cette précision, voilà ce qui passe avant tout pour ces écrivains ; aussi ne faut-il pas leur demander l’élégance et la richesse de l’âge suivant. C’est ce qui fait que les critiques de l’antiquité citent Antiphon et Thucydide comme les maîtres du style ancien ou sévère. Ce qu’il faut entendre par là, ce n’est point une rudesse et une âpreté que l’on chercherait vainement dans l’œuvre de ces esprits si cultivés et si polis. Ce qui fait la différence entre ce style d’Antiphon, le premier venu des orateurs athéniens, et celui de Démosthène, en qui l’art s’achève et se résume, c’est qu’il n’y a pas ici l’ampleur et les libres allures, les belles proportions de la période ; c’est aussi qu’à côté de ce que les grammairiens appellent les figures de mots, on n’y rencontre pas les figures de pensée, le cri de l’indignation, la question ironique et railleuse, la répétition énergique et violente de la même idée reproduite sous plusieurs formes, la gradation qui frappe sur l’intelligence comme une suite de coups toujours de plus en plus forts. Non, rien ici ne trahit la passion. L’orateur va droit au but sans jamais courir, d’un pas ferme, égal, cadencé. Il est tout occupé de saisir et de mettre en lumière toutes les faces de la pensée, de trouver des mots qui en rendent les moindres nuances. Alors même que l’éloquence attique se sera échauffée et colorée, elle gardera pourtant toujours ce caractère qui frappe chez elle à ses débuts ; plus que ne l’a jamais fait celle d’aucun autre peuple, elle prétendra ne parler ou ne paraître parler qu’à la raison.

Ce ferme propos de serrer près la pensée et d’égaler toujours le mot à l’idée, c’est ce qui, malgré l’absence de grâce, de poésie et de sentiment, rend si intéressans ces premiers maîtres de la prose attique. Chez eux bien mieux que chez des écrivains appartenant aux époques où la facilité acquise sait jouer le talent, on voit travailler l’intelligence, on suit ses mouvemens et ses démarches, avec la même curiosité que l’œil d’un statuaire les muscles tendus d’un ; lutteur nu ; on jouit de cette activité infatigable, de cette élasticité de l’esprit, du plaisir qu’il semble éprouver à comprendre les choses et à montrer, en les exprimant, qu’il les a comprises.