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une véritable anarchie. « Pas de mal plus grand pour les hommes, dit-il, que l’absence de commandement. C’est ce que comprenaient les hommes d’autrefois ; aussi habituaient-ils les enfans dès leurs premières années à obéir, à faire ce qu’on leur ordonnait, pour qu’ils ne risquassent point ensuite, le jour où ils deviendraient hommes, de trouver dans la vie un grand changement qui les dépayserait[1]. » Nous renverrons aussi les amateurs au plus long de ces fragmens : il a pour sujet le mariage et ses inconvéniens, qui l’emportent de beaucoup sur ses joies et sur ses avantages. Toutes ces maximes nous donnent l’idée d’un esprit ferme, net, qui a beaucoup réfléchi et ne garde aucune illusion ; c’est une ressemblance de plus avec Thucydide, chez qui l’on retrouve ce même accent triste et presque dur. À tout prendre, on peut dire qu’Antiphon, qui pour les anciens n’est guère qu’un rhéteur et un logographe, inaugure avec distinction la série des moralistes grecs.

À propos de la partie conservée de l’œuvre d’Antiphon, une question se pose que nous ne pouvons discuter ici comme elle le mériterait, c’est la question d’authenticité. Il y a eu quelques hypercritiques pour lesquels les quinze discours attribués à Antiphon par les manuscrits sont tous des ouvrages postérieurs, dus à des rhéteurs de l’époque alexandrine ou romaine ; mais, hâtons-nous de le dire, cette opinion extrême n’a guère trouvé de partisans. On s’accorde en général à placer au-dessus du soupçon le discours sur le meurtre d’Hérode ; il nous est cité par les anciens comme l’une des œuvres les plus connues et les plus admirées d’Antiphon. Le style en a au plus haut degré les caractères que les grammairiens signalaient chez les premiers maîtres de l’éloquence athénienne ; enfin il contient des détails de mœurs originaux et naïfs qu’un rhéteur n’aurait point inventés. Les deux autres discours sont sans doute de moindre valeur, mais ils sembleront, à quiconque en commencera l’étude sans parti-pris, avoir aussi toute l’apparence de véritables plaidoyers ; nous n’y trouvons aucun de ces indices qui trahissent la fiction et le goût des temps de déclin. La plupart des critiques s’entendent pour en admettre aussi l’authenticité. C’est sur les trois tétralogies que portent les doutes les plus sérieux. La langue en paraît moins pure, l’intérêt en est médiocre, et dans plusieurs de ces discours, on a signalé à côté d’étranges subtilités bien des argumens omis qui semblaient se présenter d’eux-mêmes à l’esprit : on a vu là une inexpérience et une maladresse dont on n’osait pas accuser Antiphon. Ces objections ne sont pas sans réponse. Les tétralogies, qui sans doute avaient moins intéressé et occupé les éditeurs que

  1. Fragment 132.