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acheté un agneau à l’un de ces pâtres appelés Vlaques qui, avec leurs brebis et leurs chèvres éparses dans les buissons de myrtes et de lentisques, sont à peu près les seuls habitans de ce canton Quand nous revînmes, l’agneau, soutenu sur deux fourches fichées en terre par un jeune pin sylvestre qui servait de broche cuisait tout entier devant un feu clair, et la graisse coulait à grosses gouttes sur les charbons ardens. Devant notre tapis étendu à l’ombre avait été préparée une jonchée de verts branchages sur lesquels le succulent rôti, rapidement découpé par le coutelas d’un berger laissa bientôt tomber côtelettes et gigots. S’il est vrai, comme dit le poète,

Qu’il n’est pire misère
Qu’un souvenir heureux dans un jour de douleur,


écartons vite ces images, et n’exposons pas, en ce cinquième mois du siège, les gourmets parisiens au supplice d’envier l’ordinaire des pâtres et des klephtes grecs.

Ce qui nous fit prolonger là notre halte longtemps après que notre appétit fut satisfait, ce fut la vue magnifique dont on jouissait de la plate-forme où nous étions établis, dans un coin de l’acropole. À nos pieds, c’était la mer, veloutée de chatoyans reflets par le soleil, par la brise, par les nuages qui passaient au ciel. En face de nous se dressaient les hautes et sévères côtes de l’Eubée, dominée par la pyramide du Dirphys. Ce fier sommet était encore tout blanc des neiges de l’hiver ; au contraire, si nous nous retournions vers les gorges qui se creusaient autour de nous dans la montagne, entre des parois de marbre rougies et comme hâlées par le soleil, c’était le printemps de la Grèce dans tout son épanouissement et son éclat. Dans le fond des ravins, là où un peu d’eau filtrait sous les cailloux, arbres de Judée et cytises mêlaient leurs brillantes couleurs au tendre feuillage des platanes, et sur les pentes les plus âpres des milliers de genêts en fleurs étincelaient parmi la verdure des genévriers, des chênes et des oliviers francs.

Dans l’antiquité, toute cette portion du territoire athénien, qui faisait partie de ce que l’on appelait la Diakria ou le « haut pays, » sans avoir de gros villages ni une population aussi dense que celle des plaines d’Athènes ou d’Eleusis, devait pourtant présenter un aspect assez différent de celui qu’elle offre aujourd’hui : je me la représente assez semblable à ce que sont maintenant certains districts montueux de la Grèce moderne où le désir d’éviter le contact des Turcs avait rejeté et cantonné les Hellènes : il en était ainsi du Magne, de la Tzaconie, des environs de Karytena en Arcadie. Partout là, une industrieuse persévérance a mis à profit tout ce que