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un Alsacien que de pouvoir se faire l’intermédiaire, pour les sciences comme pour l’industrie, entre deux grands pays que la guerre sépare aujourd’hui, mais qui, nous l’espérons, ne connaîtront dans l’avenir d’autre rivalité que celle du travail et de la production pacifique ? N’est-ce rien pour un homme de nos provinces du midi de n’être étranger ni en Catalogne ni en Aragon, et de pouvoir, grâce à la ressemblance de sa langue maternelle avec l’espagnol et l’italien, se rendre sans peine maître de ces deux langues ? La tolérance de nos langues provinciales n’aurait-elle d’autre résultat que de resserrer les liens qui nous attachent aux nations voisines, certes elle mériterait d’être mise en pratique. Si, au lieu de parquer despotiquement chaque peuple dans une langue unique qui le laisse isolé au milieu de la grande famille humaine, on prenait soin de respecter ces liens qui rattachent entre elles les diverses nations et sont un témoignage vivant de leur unité originelle, croit-on que l’on n’aurait pas rendu un véritable service à l’humanité, défendu effectivement la grande cause de la fraternité humaine, et travaillé efficacement à inspirer de plus en plus l’amour de la paix entre les peuples ?

Que ne prenons-nous exemple ici sur certaine république voisine ? à cet égard, elle pourrait nous donner d’utiles et profitables leçons. En Suisse, le français, l’italien et l’allemand se partagent la suprématie, et cette tolérance, dans laquelle nos docteurs en centralisation prétendraient voir un danger pour l’unité nationale, a eu pour résultat de faire du petit peuple suisse une vraie nation de frères. La confédération helvétique nous donne, malgré la diversité d’origine de ses habitans, malgré leurs divisions politiques et religieuses, l’exemple d’un patriotisme qu’attestent tous les siècles de son histoire. Bien qu’on trouve quelques Suisses allemands parmi les avocats du pangermanisme, la population des cantons allemands de la confédération helvétique n’est pas moins suisse de cœur que notre Alsace n’est française ; elle montrerait ce qu’elle pense du a principe de la nationalité » le jour où le nouvel empereur d’Allemagne voudrait l’englober dans le futur empire germanique.

C’est en effet le grand tort des théoriciens du « principe de la nationalité » de vouloir rattacher à la nation germanique toute population de langue et de race allemandes malgré qu’elle en ait, car, si pénétrante que soit leur logique, si subtils que soient leurs raisonnemens, ils négligent avec soin de distinguer entre les populations allemandes et les populations de langue allemande. En fait, c’est bien différent, mais pour le pangermaniste c’est tout un. Aux yeux de celui-ci, toute population qui parle, à quelque degré que ce soit, un dialecte germanique est en rupture de ban ; il la prend au collet et