nous entraverions l’expression de la vie provinciale, et la décentralisation que la France nouvelle doit inaugurer ne serait qu’un mot vide de sens.
Ce qu’il y a de plus noble et de plus légitime dans les aspirations de la démocratie, la nécessité d’éclairer le suffrage universel pour le rendre libre, l’intérêt de la sécurité sociale, aussi bien que celui de la grandeur du pays, tout invite les bons citoyens aux plus énergiques efforts pour instruire, ou, mieux encore, pour élever le peuple. Or il sera toujours très difficile, il sera même souvent impossible de donner à celles de nos populations rurales qui parlent une autre langue que le français une instruction primaire sérieuse, de les intéresser à une culture plus avancée, si l’on ne prend pour intermédiaire l’idiome qui sert d’expression habituelle à leurs pensées. Il semble qu’une loi de la nature astreigne l’esprit comme le cœur à passer par des transitions graduées pour embrasser un horizon sans cesse agrandi, s’étendant de la famille à la commune, de la commune à la province, de celle-ci à la patrie, et de la patrie enfin à l’humanité tout entière. En effet, c’est en s’intéressant d’abord aux affaires de la commune et du département que le peuple attachera un prix véritable à ses droits de citoyen, et saura les exercer avec intelligence. En vertu de la même loi, c’est par la langue de sa province, par la langue du foyer et des traditions domestiques, qu’il prendra goût aux choses de l’esprit, qu’il pourra recevoir efficacement cette première culture intellectuelle, base de tout perfectionnement ultérieur et condition indispensable de toute éducation politique.
Malgré tout, une des causes de la grandeur de la France est précisément ce que M. Bœckh lui reproche, c’est d’être un peuple hybride, un Michvolk, comme disent les Allemands. C’est par ce mélange des races les plus diverses que la France est la sœur de toutes les nations qui l’environnent. Quelle force pour notre influence et nos intérêts, pour la propagande de nos idées, pour l’extension de notre commerce, ne pourrons-nous pas tirer de cette admirable situation le jour où la France, régénérée par le malheur, entrera dans la voie de la liberté ! Nous n’exagérons pas l’effet de cette parenté de la France avec les nations voisines. N’est-ce rien pour un Flamand de France que de pouvoir être compris en Belgique, en Hollande, dans les vastes et riches colonies néerlandaises des deux hémisphères, de Paramaribo à Batavia, et de n’avoir besoin que de peu d’étude pour acquérir la connaissance de la langue allemande ? N’est-ce rien pour un Basque que d’être compris en Guipuzcoa, dans la Navarre espagnole et jusque dans les contrées de l’Amérique du Sud, où les deux versans des Pyrénées jettent un flot régulier d’émigrans ? N’est-ce rien pour