Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/397

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand au contraire les récens débats du sénat français donnent aux autorités françaises ce témoignage qu’elles ne laissent de côté aucun moyen de détruire la langue allemande dans ces contrées[1], et quand le sénat français regarde comme une nécessité nationale de premier ordre de bannir la langue allemande de l’enseignement, est-ce autre chose qu’une déclaration de guerre ouvertement jetée à la nation allemande ? » Ces pages datent de février 1870 ; dénotent-elles le désir de « vivre en paix » avec la France ? Mais allons au fond des choses, et discutons la théorie du statisticien de M. de Bismarck.

Le public français est habitué depuis longtemps à la réglementation uniforme que la centralisation a fait peser sur les régions les plus différentes de la France, et il comprend peut-être difficilement la part que la langue du foyer et des relations journalières joue dans la vie morale des peuples. Aussi ne manquera-t-il pas sans doute de trouver étranges d’un bout à l’autre les idées de M. Bœckh. Pourtant, à côté d’exagérations et de sophismes systématiques, il y a, selon nous, dans sa théorie une part de vérité qu’il faut soigneusement distinguer du reste, et dont la France libre et libérale pourra faire son profit. La nation française s’est formée de plusieurs nationalités, qui, pour être indissolublement unies, n’en ont pas moins gardé une originalité propre. La centralisation ne les a pas détruites, tout en voulant remplacer par la langue et les usages de l’Ile-de-France la langue et les usages que la tradition avait transmis à chacune d’elles. L’expérience des derniers événemens nous permet de contester l’utilité de cette centralisation à outrance. L’opinion publique n’a-t-elle pas, dès le début du siège, rangé parmi les troupes les plus vaillantes et les plus dévouées de la défense cette garde mobile du Finistère où la plupart des hommes ne parlent que breton ? Les faits le prouvent, on peut être bon patriote tout en gardant précieusement l’héritage d’une langue autre que le français ; on peut concilier l’amour des traditions locales avec le culte de la grande patrie. Aussi serons-nous sans doute moins sévères à l’avenir pour nos langues provinciales. Si nous devions continuer à en proscrire l’usage, si nous voulions à tout prix enlever à un grand nombre de nos compatriotes l’instrument qui sert d’organe habituel à leurs pensées, nous arrêterions leur développement intellectuel,

  1. Ceci fait allusion à une pétition adressée au sénat par les habitans de Mailing (Moselle), au sujet du refus fait par le curé d’interroger sur le catéchisme en français et d’admettre à la première communion les enfans qui ne pouvaient pas répondre en allemand. Un rapport fut présenté au sénat sur cette pétition par M. Amédée Thierry dans la séance du 21 juillet 1868. La pétition, approuvée par le sénat, fut renvoyée aux ministres des cultes et de l’instruction publique.