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de race, mais une conscience, un contrat des âmes, reposant sur ce concours de volontés libres qui seul fait une nation. Quel n’eût pas été notre étonnement, si l’on nous eût dit que nous entendions mal le principe des nationalités, et que l’application de ce principe pouvait mener au démembrement de notre pays ! Oublions un instant notre répugnance pour une sophistique qui veut détruire notre personnalité nationale ; allons au-delà du Rhin demander ce qu’il faut entendre désormais par le principe des nationalités ou plutôt « de la nationalité, » car c’est ainsi que s’exprime M. Bœckh. On verra que ce n’est pas tout à fait la même chose.

« Dans la reconnaissance du principe de la nationalité, dit M. Bœckh, réside le germe d’un progrès incalculable pour le développement des peuples. Elle comprend la reconnaissance de l’individualité de chaque nation ; elle assure à chacune le libre exercice de la force créatrice de son génie, et la défend contre l’oppression d’un génie étranger ; elle comprend la reconnaissance de l’unité de chaque nation, et garantit aux nationaux la mise en commun de leurs volontés et de leurs actes ; elle comprend enfin la reconnaissance de la totalité de chaque nation, et assure par conséquent à chaque individu le droit de faire respecter en soi la nationalité à laquelle il appartient par des signes irrécusables et fondés dans sa nature même. » Or, s’il y a, d’après l’auteur, une nation qui ait plus que toute autre intérêt à reconnaître et à faire respecter le « principe de la nationalité, » c’est la nation allemande, chez laquelle l’isolement a, dans quelques-unes de ses parties, produit des intérêts distincts et particuliers, et qui voit une partie de ses enfans sous le joug de gouvernemens étrangers. Ce sont les Allemands qui doivent appliquer avec justesse ce grand principe des temps modernes dont leurs adversaires ont fait usage contre eux.

La théorie de M. Bœckh est le fatalisme même. Selon lui, la nationalité se reconnaît à la communauté de langage, et les nations se délimitent par les frontières mêmes des idiomes. La langue forme aux nationalités une base organique, différente pour chacune selon son origine. Tout homme, par le fait même de sa naissance, paraît pour ainsi dire prédestiné à une langue déterminée qui doit se développer en lui à nouveau, ainsi qu’elle s’est développée chez ses ancêtres. La parole n’est pas seulement un fait physique ; elle a une signification morale. Il en résulte que la langue est l’expression de la vie intellectuelle et des rapports sociaux. Mettant les hommes en communication les uns avec les autres, elle les groupe, les façonne, leur fait une existence distincte, et par là leur donne un caractère particulier. L’unité de la vie. morale se révèle par le langage ; la différence de langage est donc la preuve irréfutable d’une diffé-