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pangermaniste, et c’est en même temps, nous devons le reconnaître, un travail pour lequel l’auteur a interrogé toutes les sources, pour lequel il n’a négligé aucune recherche, en un mot une œuvre d’une véritable valeur scientifique. La carte linguistique et ethnographique des pays de langue allemande publiée il y a quelques années par M. Kiepert, le célèbre géographe de Berlin, ne pouvait trouver un commentaire plus minutieux, plus intéressant et plus autorisé. Il nous semble utile de faire connaître ce livre pour montrer sur quelles forces repose le pangermanisme, quelles menaces il porte à la paix de l’Europe, quelles revendications il médite. Et pourtant M. Bœckh écrivait avant cette guerre, dans laquelle les succès foudroyans de l’armée prussienne ont si fort excité l’espoir et enflé le cœur des apôtres du pangermanisme.


I.

C’est assurément en France que dans ce siècle on a le plus parlé du principe des nationalités ; c’est en France que les nations privées de leur indépendance par une conquête étrangère ont trouvé les plus ardentes et les plus sincères sympathies. Le partage de la Pologne a longtemps été pour nous un deuil national, et les gouvernemens les moins aimés ont été soutenus par la faveur populaire quand ils entreprenaient à l’étranger une guerre de délivrance : Navarin et Solfernio peuvent en témoigner. Or que nous disait ce mot de nationalité pour lequel nous étions si disposés à dépenser notre sang et notre argent ? Nous entendions par là une réunion d’hommes ayant la ferme volonté de former un corps politique distinct, un état indépendant. Les données ethnographiques ne faisaient qu’accentuer et mettre pour ainsi dire en relief la question morale. Nous demandions aux opprimés non pas de quelle race ils descendaient, mais à quelle nation ils voulaient appartenir ; nous considérions les peuples comme des personnes morales qui sortent par leur activité propre de la servitude des faits, de la fatalité du passé, et qui règlent leur destinée à leur guise, selon leurs sentimens ou leurs intérêts. Pour nous affermir dans cette opinion, nous n’avions qu’à jeter un regard sur notre pays. Ne nous sentions-nous pas une nation, nous Français, peuple hybride s’il en fut, où le Breton est le compatriote du Basque, l’Alsacien du Provençal, le Flamand de l’Auvergnat ? Cette unité, qui est notre consolation et qui seule peut être notre salut dans la crise terrible que nous traversons, cette unité est d’autant plus forte, d’autant plus respectable, qu’elle est non pas un fait brutal, non pas le résultat fortuit de la communauté