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REVUE DES DEUX MONDES.

dances d’une grande confédération germanique dont le roi Guillaume est le chef sous le titre d’empereur ; mais l’Autriche est trop raisonnable pour ne point admettre cette « nouvelle phase de la reconstitution de l’Allemagne, » et M. de Bismarck pousse l’ironie jusqu’à complimenter le cabinet de Vienne sur sa sagesse, en lui prodiguant les assurances les plus amicales. Un de ces jours, le chancelier prussien demandera ses provinces allemandes à l’Autriche, et il lui offrira son amitié. Alors sans doute l’Autriche s’apercevra un peu tard que, dans cet ordre nouveau où nous entrons, tout la rapproche de nous.

Quant à l’Italie, à l’Espagne, qui semblent plus désintéressées ou moins menacées, croient-elles donc qu’elles seraient bien à l’abri, si elles cessaient d’avoir la France pour rempart ? Est-ce qu’elles n’entendent pas toutes ces voix allemandes déclarant que la guerre actuelle n’est point une guerre ordinaire, que c’est la lutte de la race germanique contre la race romane ? Par un dernier privilège de sa fortune, la France, en combattant pour elle-même, combat encore pour toutes les indépendances, pour la sécurité des races latines comme pour les garanties politiques de l’Occident. Cette cause, nous en garderons jusqu’au bout l’espérance, ne peut être ni écrasée sous une victoire de l’astuce et de la violence, ni indéfiniment désertée par ceux qui sont intéressés autant que nous à la voir triompher. Le chancelier prussien peut en attendant, s’il le veut, faire déverser l’insulte sur nous par les scribes à la suite de ses armées et se laisser dire qu’il est le chevalier de Saint-George chargé de terrasser le dragon. Nous ne renverrons pas l’injure à l’Allemagne, nous nous bornerons à la plaindre de prendre si vite les goûts et le langage des séides de la force. M, de Bismarck peut nous bombarder, il n’empêchera pas la protestation de l’humanité et de la justice de s’élever contre lui du sein de ce tourbillon de fer et de feu dans lequel il prétend nous envelopper et nous étouffer.

Ch. de Mazade.




CORRESPONDANCE


à m. le directeur de la REVUE DES DEUX MONDES.
Mon cher monsieur,

Nous y voyons enfin un peu plus clair depuis ce renouvellement d’année. La muraille est encore bien épaisse entre la France et nous, mais il s’y fait comme d’heureuses fissures où nos yeux commencent à pénétrer. Nous discernons les positions, le nombre, la marche de nos armées, l’ardeur de nos populations, les faux calculs, les mécomptes de l’ennemi. Il n’est qu’un point où pour moi l’obscurité redouble, c’est quand je veux trouver une cause à ce fait qui depuis vingt jours nous révolte et nous assourdit, ce fait aussi sauvage qu’inutile, le bombardement de Paris.