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sombres, des yeux atrophiés ; la lumière éclaire donc le lit de l’Océan. Les calculs relatifs aux énormes pressions de la masse des eaux regardées comme inconciliables avec l’existence d’êtres organisés n’ont plus aucune valeur : sur des corps renfermant des liquides et non de l’air, nulle pression de l’eau n’est à redouter. Aujourd’hui ces faits sont entrés dans le domaine de la science.

Sous une infinité de rapports, les résultats acquis par les explorations du lit de l’Océan sont immenses, et ils paraîtront plus considérables encore lorsque tous les matériaux recueillis auront été parfaitement étudiés. Les connaissances sur différens groupes zoologiques se trouvent fort étendues par la découverte d’un grand nombre d’espèces remarquables. Une révélation semble avoir été faite quand on a démontré l’existence des mêmes animaux dans les profondeurs de la Méditerranée et du nord de l’Atlantique. — Chaque région ayant sur le littoral une faune particulière, on ne prévoyait pas d’exception. Il est donc très intéressant d’avoir constaté l’action des courans et l’influence de la température sur la dissémination des êtres. On réclame à présent la comparaison rigoureuse des espèces recueillies près des côtes d’Amérique avec celles qui ont été observées dans l’Europe boréale, car certains indices donnent à croire que sur le parcours du gulf-stream la faune change peu. Un fait à nos yeux bien étrange constaté par tous les explorateurs, c’est l’absence des végétaux et l’abondance des animaux dans les grandes profondeurs de la mer. Sans doute des organismes fort simples appartenant au règne animal ont la faculté de vivre à la manière des plantes en absorbant par les tissus des matières salines ; mais le sujet appelle l’observation et l’expérience, et l’on n’a encore que la probabilité. La découverte d’espèces qu’on croyait éteintes et la reconnaissance de la formation de la craie sur de vastes étendues du lit de l’Océan sont particulièrement précieuses, car elles procurent des moyens nouveaux pour recomposer l’histoire de notre planète. En présence de tels résultats obtenus par des recherches exécutées dans un court espace de temps et seulement sur quelques points du globe, il est impossible de prévoir à quel degré parviendra la science quand on aura poussé les investigations dans les différentes parties du monde : mais on est bien assuré que le travail sera productif, et rien ne semble plus désirable qu’une grande entreprise.

Émile Blanchard

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