Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

endroit m’a étonné, dit-il, non-seulement par la singularité des types, mais encore par le nombre prodigieux des individus de chaque espèce ; la drague remontait des grandes profondeurs, chargée et encombrée de créatures vivantes, c’était un spectacle rare et émouvant pour un naturaliste. » Près du plateau semé de madrépores et de coraux, et si peuplé d’animaux de tout genre, le fond de la mer s’abaisse très sensiblement, et alors la drague ramasse, à la profondeur de 500 à 800 brasses (900 à 1,460 mètres), cette vase chargée d’innombrables foraminifères qui rappellent tous les caractères de la craie. Sur ce terrain, la faune s’est montrée plus pauvre qu’on pourrait le supposer après les observations faites aux alentours des îles britanniques. Les recherches effectuées dans le lit du gulf-stream devaient aussi jeter quelque jour sur les anciens phénomènes géologiques. Avec la pénétration dont il a si souvent donné la preuve, M. Agassiz a tout de suite indiqué ce qu’il est permis d’attendre de l’étude des fonds de la mer pour la connaissance de l’écorce terrestre. Les caractères des matériaux accumulés dans les profondeurs de l’Océan étant reconnus avec exactitude, n’aura-t-on pas en effet un guide incomparable pour déterminer les conditions dans lesquelles ont été formés autrefois les dépôts sédimentaires ? Sans perdre un instant, le célèbre professeur de Cambridge a puisé dans les observations sur le lit du gulf-stream et dans les récentes découvertes des comparaisons pour mettre en relief ou les incertitudes ou les erreurs au sujet du mode de constitution de certaines couches géologiques, et pour réunir des preuves de l’existence d’un canal entre l’Océan-Pacifique et l’Atlantique pendant la période crétacée.

Ainsi seulement après quelques années d’études dans une voie jusqu’alors inexplorée, les connaissances sur le monde de la mer s’étaient augmentées dans des proportions inouïes. Qu’elle semble donc loin maintenant cette croyance, hier encore acceptée, d’un océan où le désert commence à peu de distance des rivages ! En réalité, la vie est répandue presque partout dans les mers, ici à profusion, là en moins grande abondance ou même en quantité très réduite. Les plus grands abîmes sont aussi peuplés que les eaux assez basses. Les types les plus parfaits ne sont pas moins représentés à toutes les profondeurs que les types de l’organisation la plus simple. En tous lieux, les habitans de la mer offrent une égale diversité de coloration, et si loin que la drague a été descendue, elle a rapporté des animaux parés des plus fraîches nuances, où dominent peut-être le rouge violet, la teinte orange, le vert pâle, et des espèces pourvues d’organes de vision parfaitement conformés. Cependant les animaux qui vivent dans l’obscurité ont invariablement des couleurs