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un accident. L’existence constatée d’une large zone, où la température du fond est à peine au-dessus du degré de congélation de l’eau douce, dans une région où, à égale profondeur (914 mètres), l’eau reste presque aussi chaude qu’à la surface, est singulièrement instructive. En rapprochant ce fait des observations antérieures sur les courans qui descendent du pôle et envahissent les eaux du gulf-stream entraînées vers le Spitzberg, certaines particularités de la distribution de la vie animale se trouvent expliquées. La découverte, due à M. Huxley, d’un organisme d’ordre inférieur dans la vase rapportée des grandes profondeurs où l’on ne découvre aucune végétation force l’esprit à s’arrêter sur une question neuve ; les observateurs sont disposés à croire que cet organisme sert à la subsistance des êtres microscopiques et tire lui-même ses élémens nutritifs de matières minérales. L’analogie entre la vase pleine de globigérines et les dépôts crétacés, déjà reconnue, a pris le caractère de la certitude, car des animaux recueillis sur cette vase, éponges, polypiers, mollusques du groupe des térébratules, petite encrine de Lofoten, n’ont de ressemblance étroite qu’avec des espèces des terrains crétacés. MM. Wyville Thomson et William Carpenter pensent donc avoir la preuve que la formation de la craie se continue actuellement dans le lit de l’Océan. Or une semblable preuve doit être féconde en enseignement. En effet, combien serait vaine, remarquent les deux naturalistes, toute déduction tirée de la rareté des restes organiques dans une couche sédimentaire, en vue de déterminer à quelle profondeur cette couche s’est constituée ! Par suite de la température et de la force des courans, la vie animale sera presque absente, aussi bien sur le littoral que dans les profondes vallées sous-marines. Comme le démontrent les observations faites près des îles Féroe, deux dépôts caractérisés par des élémens minéraux et des êtres organisés absolument différens peuvent s’effectuer à peu de distance l’un de l’autre et même se pénétrer sous l’action des courans. Qu’un jour ces dépôts se trouvent émergés, en suivant les voies ordinaires des géologues, on attribuerait sans doute à des époques distinctes ce qui a été formé simultanément, à des inégalités de profondeur ce qui a dépendu d’un courant polaire et d’un courant équatorial.

Il existait, on le voit, de bien puissans motifs pour apporter une véritable ardeur dans la poursuite des recherches sous-marines. Aussi tout avait été préparé en vue d’un nouveau voyage, et au printemps de l’année 1869 le vaisseau de l’état le Porc-Épic (the Porcupine) était mis à la disposition des investigateurs. Trois campagnes successives favorisées par le temps furent effectuées durant le cours de la belle saison. Dans la première, dirigée par M. Jeffryes, on gagna la haute mer à l’ouest des îles britanniques