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charrettes dévaliser tranquillement les maisons abandonnées. L’autorité militaire n’est-elle pas quelque peu coupable d’avoir laissé les uns et les autres exercer en paix leur industrie ? Elle s’est exposée à compromettre la réputation des mobiles et des hommes de la ligne, qu’on a souvent accusés à tort ; de plus les destructions à moitié consommées ont encouragé nos soldats, qui parfois les ont achevées sans en tirer profit, — par goût pour le bruit et le mouvement. Cet instinct est trop naturel chez le Français, il est trop certainement une des formes de cette activité peu ordonnée que les Italiens nous reprochent sous le nom de furia, pour qu’il ne soit pas nécessaire de couper court par une répression sévère à toutes les tentatives de ce genre. On nous dit que les Prussiens font garder nos maisons de campagne dans les pays en leur pouvoir ; ce n’est pas que leur humanité doive nous être proposée pour modèle, nous savons qu’ils s’entendent au pillage en grand et méthodique, au pillage savant, qui ne brise pas les machines, mais les transporte démontées avec soin en Poméranie ; ou tient les comptes en règle d’une ville mise à contribution. Du moins les commandans de mobilisés peuvent faire la police dans leur cantonnement, et beaucoup n’y manquent pas, au grand déplaisir des maraudeurs.

On lit chaque matin dans les journaux des bulletins judiciaires de la garde nationale ; il est bon de remarquer que les accusés appartiennent rarement aux bataillons de marche. Il ne faut pas oublier non plus que la plus grande partie de la population parisienne est aujourd’hui enrôlée dans la garde sédentaire ; la police correctionnelle juge moins de causes qu’avant le blocus, les conseils de guerre n’en jugent pas beaucoup ; la moralité publique a fait des progrès sous le coup de nos malheurs. Le siège, qui a supprimé presque complètement le suicide, a diminué singulièrement le nombre des crimes et même des délits. Les assassinats sont devenus plus rares qu’à aucune époque ; les vols n’ont pas augmenté avec la misère. Ce que les conseils de guerre ont surtout à juger, ce sont des voies de fait envers les supérieurs. Du 1er octobre au 23 décembre, 74 accusations de ce genre ont été portées devant eux ; les délits qualifiés d’excitation à la révolte, qui ne sont le plus souvent que des querelles entre des officiers et des gardes, ont été au nombre de 275. Ce qu’on doit le plus déplorer dans cette statistique, ce sont 114 plaintes pour vols et détournement. Sur 540 affaires portées aux rôles, 120 seulement étaient terminées au 23 décembre ; 52 condamnations avaient été prononcées. Beaucoup de ces délits sont souvent moins graves qu’ils ne paraissent[1].

  1. Le bureau de la discipline a reçu durant cette période 1,788 plaintes ; le nombre des gardes mis aux prisons des secteurs pour quelques jours ou même pour quelques heures a été de 4,272.