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jours été étrangères. On prévenait les habitans qu’ils se trouveraient pris entre deux feux, que dans tous les cas on ne saurait comment les nourrir, que le boulanger et le boucher rentraient à Paris. Il fallait s’en aller sans attendre. Certainement nos soldats ne peuvent se disculper de tout reproche : ils ont brisé des meubles et fait du feu avec les pianos. « Autrefois nos jeunes officiers, disait M. de Narbonne dans un rapport à l’assemblée législative, passaient pour aimer à se battre, à inquiéter leurs hôtes, à casser les vitres ; nos jeunes militaires ont à cet égard un peu trop adopté la manière ancienne [1]. » Les chefs avaient le devoir de mettre un terme à ces actes de destruction inutile. Quelques commandans de la mobile y ont tenu la main avec énergie ; mais ce sont surtout les maraudeurs et les voleurs de profession qui ont exploité la campagne de Paris, la preuve en est facile à donner. Dans beaucoup de maisons, on n’a pas seulement brisé, on a surtout emporté tout ce qui était précieux ; les planchers sont levés dans des chambres qui n’ont pas été habitées, les murs portent les traces de sondages faits par des mains habiles et exercées : on a fouillé avec soin les armoires, on les a vidées, abandonnant tout ce qui paraissait être sans valeur ; les marbres des cheminées ont été enlevés pour rechercher s’ils ne couvraient pas quelque cachette. Dans certains cas, les pillards ont pris la peine de détacher les toiles de leur cadre pour emporter plus facilement leur butin. Un fabricant de produits chimiques, en revenant chez lui, a constaté la disparition de tonneaux remplis de substances d’un maniement délicat, et qui ont été prises par de bons connaisseurs ; il en avait enterré une partie dans le jardin, il n’a trouvé que la barre de fer qui avait servi à ces chercheurs émérites. Au rapport des rares habitans qui ont vu ces pillages, la plupart des voleurs se donnaient comme appartenant à des corps francs. Si quelques-uns de ces corps ont droit à la reconnaissance publique, si tous comptent des hommes dévoués, on sait que plusieurs couvrent de la protection militaire de véritables pillards. D’après une enquête officielle, il résulte qu’une de ces compagnies, composée de 800 hommes, ne possède en réalité que quatre cents fusils. On y entre sans engagement écrit, on en sort sans aucune formalité : le capitaine ne peut donner aucun renseignement sur nombre de soldats qui se recommandent de lui auprès de l’état major ; la discipline, de son aveu même, n’existe pas, et il doit reconnaître que beaucoup de ces partisans sont venus chercher asile auprès de lui pour échapper aux services réguliers auxquels ils appartiennent aux termes des recens décrets. À côté de ces faux soldats, il faut mettre les voleurs vulgaires qui s’en vont avec des

  1. Rapport du 11 janvier 1792.