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nom de Sampo, auquel on trouvait des analogues dans plusieurs langues, en mongol, en thibétain, peut-être aussi tout simplement dans les idiomes germaniques, ne désignait pas un instrument pareil à ce que l’Edda nomme le grotti, sorte de moulin magique qui fabriquait de rien non-seulement les objets précieux, mais les jours de bonheur. Plutôt que de rappeler les conjectures hasardeuses des mythographes ou des linguistes, remarquons la similitude entre ces deux conceptions qui forment le fond du poème, celles d’un merveilleux palladium et d’une vierge brillante à la possession desquels le suprême bonheur est idéalement attaché. Pourquoi chercher là autre chose que les expressions diverses du désir naturel chez l’homme de s’élever, fût-ce à travers l’épreuve, vers une récompense ou une conquête de nature à satisfaire sa soif de changement et de progrès ? On ne trouve pas dans les chants du Kalevala ce relief de la réalité historique dont l’âge efface bien difficilement l’empreinte, et au contraire nous en savons suffisamment sur les peuples finlandais, nous les connaissons assez intelligens et assez bien doués, pour penser qu’ils ont pu avoir en effet, avant leur conversion au christianisme, un brillant essor de poésie populaire et mythique. On reconnaît encore aujourd’hui chez eux, à en juger par leurs écrivains modernes, les mêmes qualités ou habitudes d’esprit que présente leur poème national, un facile enthousiasme, une imagination prompte à exciter, quelque peu fébrile, et à laquelle pouvait suffire l’expression incessamment variée de ce que lui inspiraient le spectacle de la nature ou d’antiques traditions religieuses. Nul ne sait, disions-nous en commençant, quelle sera dans l’œuvre réservée à la Russie la part des populations finlandaises ; ce qui paraît certain, c’est qu’il y a là pour l’empire moscovite des sources vives, des peuples ou tout au moins des tribus à qui un noble passé intellectuel et moral garantit l’avenir.

A. Geffroy.


    de Berlin, 1852 et 1862. On peut lire aussi dans la Zeitschrift für Wissenschaft der Sprache, t. Ier, Berlin 1845, un important travail de Grimm sur le Kalevala. — une sérieuse étude de M. Steinthal, intitulée Das Epos, dans la Zeitschrift für Völkerpsychologie und Sprachwissenschaft, cinquième volume, — un article enthousiaste et obscur dans ’Archiv für das Studium der neueren Sprachen und Literaturen de L. Herrig, Brunswick, 1860. — Il y a peu de résultats appréciables et précis à tirer de ces diverses études, si ce n’est peut-être pour le philologue, et c’est à la philologie en effet à préparer les voies en ces difficiles matières pour un examen plus compréhensif et plus large.