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l’enceinte ; mais il se trouvait par hasard que, la garde montante n’étant pas encore arrivée, les soldats précédens avaient quitté leur poste. On commença par pénétrer dans le tumulus, d’où on enleva les plus précieux objets d’argent et d’or. Il était plus dangereux de toucher à l’idole, profanation que les Biarmes ne pardonneraient pas. Thore Hund dit à ses deux associés : « Hâtez-vous, partez les premiers en silence ; je fermerai la marche. » Karle se mit en route avec les siens, mais bientôt ils remarquèrent l’absence de Thore, qui, resté à dessein en arrière, avait pénétré dans le bois jusqu’à l’idole, et se mettait en devoir de détacher un sac rempli d’argent qu’elle avait sur ses genoux. Karle, l’ayant cherché et rejoint, voulut avoir sa part. Remarquant au cou de l’idole un gros ornement d’or, il escalada la statue, et d’un coup de hache voulut trancher le lien qui retenait sa proie. Sous le coup violemment asséné, la statue pourrie chancela, et la tête, en roulant à terre, fit un grand bruit qui avertit les Biarmes. Aussitôt les trompettes des sentinelles revenues à leur poste retentirent ; elles furent répétées par les postes voisins, et les Vikings n’eurent que le temps de se sauver sur leurs embarcations. Leur butin transporté à bord, ils se mirent en sûreté en s’éloignant du rivage. La saga raconte ensuite quelles disputes s’élevèrent à propos de ce butin parmi les vainqueurs : c’est de la sorte en effet que s’achèvent d’ordinaire ces expéditions des pirates du nord. Ce qui nous importe ici, c’est de rencontrer quelque lumière vraiment historique sur des populations à peu près oubliées aujourd’hui, mais dont le passé n’a pas été sans une certaine grandeur, et auxquelles on a pu croire que nous devons ce legs poétique du Kalevala. Puisque le dieu Jumala, qui était celui des Biarmes, est fréquemment invoqué dans ces poésies, puisque la contrée où ils habitaient est aujourd’hui encore celle où se sont conservés le plus grand nombre de ces chants, la conjecture suivant laquelle la Biarmie aurait été le principal berceau de l’ancienne poésie finlandaise n’offre rien d’invraisemblable. Toutefois nul témoignage certain ne permet de faire un pas de plus, et de retrouver dans les annales du nord les vestiges de quelque grand épisode particulier à cette région et dont les chants qui subsistent seraient un écho durable.

À juger de ces fragmens par eux-mêmes, il semble qu’ils révèlent plutôt une épopée particulièrement mythique. Le poème débute, on s’en souvient, par une cosmogonie, et nous sommes tout de suite en présence des divinités païennes. On a beaucoup disserté sur ce qu’il faut entendre par le Sampo[1]. On s’est demandé si ce

  1. Voyez les mémoires de MM. Schott et Schiefner dans la collection de l’Académie