Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 91.djvu/320

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gerbe d’orge, sept boutons de houblon, huit pots d’eau, puis elle fit cuire son mélange durant tout un long jour d’été à la cime d’un promontoire nébuleux, à l’extrémité d’une île ombragée. Elle en prépara plein un vase nouvellement fabriqué, plein une cuve en bois de bouleau. Ainsi elle brassa la bière, mais il lui manquait de quoi la faire mousser. Elle envoya donc l’écureuil chercher des pommes de pin ; elle envoya Mehiläinen, l’agile abeille, recueillir le miel d’une fleur d’or qu’elle lui révéla. Les pommes de pin et le miel à peine jetés dans la cuve, la bière se mit à mousser, la fraîche boisson commença d’écumer. Elle s’enfla jusqu’aux bords en s’écriant : « Oh ! s’il venait maintenant, mon buveur ! s’il venait, celui que je dois nourrir, et s’il chantait gaîment quelque bonne chanson ! Si l’on ne m’amène tout de suite un bon chanteur pour que j’entende ses chants joyeux, je briserai tous mes liens, je bouillonnerai de telle sorte que les parois de la tonne voleront en éclats ! »

Cependant la possession du Sampo avait valu au pays de Pohjola richesse et prospérité. Les héros du pays de Kaleva résolurent donc de l’aller ravir. Ils s’adjoignirent pour compagnon Lemminkäinen, qui avait, lui aussi, recherché, mais en vain, la main de la jeune fille. La lutte engagée contre le pays de Pohjola, dont la reine opposait inutilement sa magie et ses sortilèges, se termina par la destruction du Sampo, dont un seul fragment put être sauvé par ceux qui le possédaient naguère tout entier. De là vient, suivant le poème, la misère d’une partie des populations de l’extrême nord.

L’épisode final dont se compose le dernier chant du Kalevala, et qui semble seulement juxtaposé, est très évidemment d’inspiration chrétienne : c’est l’histoire de l’enfantement d’une vierge, nommée Mariatta, au milieu d’une crèche, dans le dénûment et l’abandon. Elle élève parmi les mépris son nouveau-né ; mais à peine a-t-il dépassé son second mois que l’enfant divin fait la leçon au vieux Wäinämöinen, et, après avoir été baptisé, il devient roi de la Carélie. Quant à Wäinämöinen, saisi de colère et de honte, il s’en va errant le long du rivage. Par la vertu de son dernier chant, il se crée un esquif. Il s’assied au gouvernail, se dirige vers la pleine mer, et disparaît parmi les horizons lointains… Mais il a laissé son kantele mélodieux à la Finlande, c’est-à-dire des runes sublimes aux fils de sa race, une joie éternelle à son peuple.

Telle est dans ses principaux traits l’épopée nationale dont la Finlande est si fière aujourd’hui, et avec raison, car nul témoignage plus durable ne saurait mieux démontrer l’originalité et la perpétuité d’une race intelligente. Nous avons omis plusieurs épisodes, par exemple le plus curieux de tous, celui qui raconte l’histoire du triste Kullervo, sur qui pèse une horrible fatalité ; réduit à l’esclavage, il répand partout le malheur autour de lui, et finit,